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HISTOIRE
DE
JACQUE-AUGUSTE
DE THOU
TOME HUITIEME.
HISTOIRE
UNIVERSELLE
DE
JACQUE-AUGUSTE
DE THOIL
Depuis 1543. jufqu'en 1607.
TRADUITE SUR L'EDITION LATINE DE LONDRES,
TOME HUITIEME.
1578.
1582.
A LONDRES.
M. D C C. XXXIV.
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SOMMAIRES
DES LIVRES
CONTENUS DANS CE HUITIEME VOLUME.
578,
SOMMAIRE DU LIVRE LXVIL
AFfaires £ Orient. Origine de f 'Empire des Ver- — — fans. Defcription de la Perfè. Ses forces. ^^ Mœurs defes habit ans. Dwifîon dans la famille Roya- le , après la mort du roi Thamas , aufujet de la fuccef fion à la Couronne. Mahomet Codabende monte fur le trône. Origine de la guerre des Turcs contre les Ver- fans. Muftapha déclaré Généralijfime des troupes Ot- tomanes pour cette expédition. Ses préparatifs. Le roi de Perfe envoyé une ambajfade au Grand Seigneur. Entrée des Turcs en Perfe. Combat donné dans les campagnes de Chielder entre les Turcs & les Perjans. Description de la Géorgie , de l'Arménie & de la Me die. Religion de leurs habitans. Prife de Tiflis par les Turcs y qui fortifient cette ville. Défaite des Turcs par les Perjans , qui font eux- mêmes enfuite battus par Muftapha. Progrès dçs Turcs après cette victoire. Tome y 111, %
| SOMMAIRES
Les petits princes de la Géorgie fe foumettent au Grand Henri seigneur. Obfiacles que rencontre Muftapha dans J on retour a Erreront.. Defcription du p dis habité par les l57 * petits Tartares. Mœurs de ces peuples , ff) leur ori~ gine.. Origine de Tamerlan. Entrée des petits Tarta- res en Per/è , & leurs exploits. Défaite de ces peu- ples. Emir H am^e fils aîné du roi de Pet fe. Exploits de ce Prince. Aj] affinât de S amahal prince Géorgien , par le bâcha O/man /on gendre. Préparatifs que fait Amurath pour une nouvelle expédition en Perje. Le prince Simon Géorgien y renonce au Chrifiiani/me 3 & Je déclare pour le roi de Perje. Il fortifie Cars. Ha/fan Bâcha commandé pour conduire du/ecours à Tiflis y e[i attaqué par les Perfans fg) par le prince Simon. Il les met en déroute ^) arrive heureufement. Retour de Muftapha à Er^crom. Sinan Bâcha le décrie à la Por- te y & le fait dépofer. Amurath envoyé demander fa tête j jg) il fixait éluder cet ordre.
SOMMAIRE DU LIVRE LXVIIL
- £^ Vite des affaires de France. Etabli/fement de
1 ) 7 ? ' k j}_, tordre des Chevalier s Commandeurs du Saint E/Z prit. Edit publié en conféquence des Etats de Blois9 Succès des Conférences de Nérac. Différend de M. de Turenne avec les Duras. Mort de Jean de Mon- luc évêque de Valence , fg) fon éloge. Suite des entre* pri/es du maréchal de Belle garde. Mort du maréchal de Monmorency , & fon éloge. Mort du maréchal de Belle garde. Le roi de Navarre tient l'a/femblée des Mgli/es Prote fiante s à Mazjres dans le comté de Poix.
SOMMAIRES. iij
Ce qui y efl réfolu. Retour du duc d'Alençon à la -■
Cour, Tenue des Grands Jours à, Poitiers. Le prin- fTNTRl ce de Condé Ce rend maître de la F ère. Affemblée du
- I Ç *7 Q
Clergé tenue à Melun. Sédition dans Paris à focca- J '' fon de ce qui s'y pajfe. Le Roi prend la <ville de Ge- nève fous fa protection. Suite des guerres de Flan- dre. Le duc Cafimir pajfe en Angleterre. Les Aile- mans défaits ftf chaffés des Pais bas , par le prince de Parme. 'Union dVtrecht. Réduction des provinces Vallones a lobéifance du roi d'Efpagne. Sédition a, Anvers fç) a Malines. Tentative inutile du comte d'Egmondfur Bruxelles. Sédition à Bruges. Prifè de Mafiricht par les Efpagnols. Congrès de Cambray.: Nouvelle fé dit ion des Gantois , appaifée une féconde fois par le prince d'Orange. Tentative des Efpagnols fur la Brille. Prife de Menin par les troupes des Etats. Entreprife des Efpagnols fur Courtray. Con~ tinuation de la guerre en Frife. Soulèvement des p aï fans dans la province d'Over- TjfeL Affaires du Nord. Affemblée des villes Anfeatiques à Lubeck^ Affaires de la Grande Bretagne. Le duc d' Anjou pajfe €n Angleterre. Mouvemens en Ecojfe a toccafion de £ arrivée du comte de Lenox dans ce royaume. Suite de la révolte des Irlandois. Arrivée des Efpagnols dans ce royaume. Defcription de l'Irlande. Mauvais fuccès des rebelles. ) Morts illuflres , du chancelier Ba~ con, du cardinal Hj/zus 3 de Jean Hartung, d Erafme Ofvvaldt , de Jean Stadius , de Louis le Roi ^) de Jean-Baptifie Adriani*
Ïy SOMMAIRES,
■M79-
SOMMAIRE DU LIVRE LXIX.
AFfaires du Nord. Origine de ta guerre des Po~ lonois contre les Mofcovites. Soulèvement de la Livonie en faveur de Magnus duc d'Holflein. Ambaf fade du roi de Pologne au C\ar. Diète de Varfovie, Tentative des Mof comités furVendcn.. Magnus pajfe aufervice du roi de Pologne. Arrivée de ce Prince a Leopol. Ambajfade du Grand Duc de Mofcovie.. Victoire remportée par les Polonais fur les Mofcovites a Vend en. Préparatifs du roi de Pologne contre les Mofcovites. Il déclare la guerre au Czar. Confeil de guerre tenu a Suire. Siège de Poloczkp par les Po* lonois. Defcription de cette ville. Campement de l v armée Polonoife devant cette place. Reddition de Poloczkp. Cruautés exercées par les Mofcovites pen- dant ce fîége. Progrès du roi de Pologne en Livonie, Diète de Varfovie. Plaintes contre le Roi, Difcourz du chancelier Zamoyskj pour lajufïification de ce Prince., Il rend lui - même compte de fa conduite à la diète. Suite des affaires de Portugal. Le rot Henri ajfemble les Etats du royaume. Il nomme cinq Gouverneurs pour être a la tête des affaires jufqua ce quon eut décidé du droit des prêt endans a la Couronne y au cas qu'il vînt à mourir auparavant. Le peuple Je déclare pour D. Antoine prieur de Crato. On penfe a marier le Roi. On envoyé à Rome à ce \ fuj et y pour demander dif penfe au Pape. Conduite du roi d' Efpagne à cette occafion. Droits de la reine Catherine de Me die i s à la couronne de Portugal. Libelles publiés contre le
sommaires:
foi Henri. Examen des droits des prétendons a la Cou- - ronne. Si la couronne de Portugal efl élective .<* Pré- A1! K l paratifs du roi d Efpagne pour foutemrfe s prétentions.. Le roi Henri y à la perfuafion du féfuite Henrique^ /on Confejfeur , Je déclare en fecret en faveur de Phi- lippe. Sentiment des Etats de Portugal à ce Jujetr Mort du roi Henri. Le duc d'Albe déclaré Généra* liffime de ï expédition du roi d Efpagne contre le Portu- gal. Philippe II. fe rend à Guadalupe. Décifon des Je fuit es çf) des Cor délier s de ÏVniverfité d Alcalaen faveur des droits de ce Prince.
SOMMAIRE DU LIVRE LXX,
S Vite des affaires de Portugal. Etat de ce royau- me a la mort du roi Henri. Ambajfade des Por- l 28°' t^ais à Philippe ., jg) la réponfe de ce Prince. Mort de Philibert Emmanuel duc de Savoy e , & fon carac- tère. Préparatifs des Portugais contre l Efpagne. Ils implorent inutilement le f cours du nouveau duc de Savoy e , & du Pape. Le roi d Efpagne va a Badajo^ où il reçoit une nouvelle ambajfade des Portugais. Sa réponfe. Revue de l'armée Efpagnole à Santillane* D. Antoine proclamé roi de Portugal à Santarcn. En* trée des EJpagnols dans le royaume , & leurs progrès,- Entrée de D. Antoine a Lifbonne. Défordr es arrivés dans cette ville , depuis que ce Prince en fut le maître,. Les Gouverneurs de Portugal fe déclarent en faveur de Philippe. Le duc de Bragance traite avec le roi d Efpagne. Suite des progrès du duc d'Albe. Le
Pape envoyé un Légat à- Philippe, Succès de cette
a iij
vj SOMMAIRE S.
= députation. Prife de Cafcaès par les Efpagnols , q) Henri £e fa frterejfe de Saint Julien, Défaite de D. An- toine par le duc d'Albe. Réduction de Lijbonne A 1 * °* tobéiffance du roi d Ef pagne. Philippe II. proclamé roi de Portugal. Dom Antoine fort de Portugal, & pajfe en France. Sa tête eft mife à prix par le roi d EJpagne. Les Adores fe déclarent en faveur de £>. Antoine. Affaires d Angleterre. Suite des guerres d'Irlande. Les Efpagnols abordent dans ce royaume. Exploits de Pelham contre les rebelles. Milord Grey nommé à la viceroyauté d'Irlande fe rend a Dublin. Défaite des Efpagnols par le comte dOrmond. Prife du fort des Efpagnols par le Viceroi. Suite de fes exploits contre les rebelles. Le comte de Mort on efi arrêté , & mis en prifon. Mort du comte d'Arondel. Tremblement de terre arrivé en Angleterre. Edit contre les Catholiques.
SOMMAIRE DU LIVRE LXXI.
VOyage de François Dracl^ autour du monde. Plaintes de lambajfadeur d EJpagne a ce fujet. Reponfe des Anglois. Suite des guerres de Flandre. Les Provinces - Vnies délibèrent de fe donner au duc £ Anjou. Ecrit du prince d'Orange à cette oicafion. Exploits du prince de Parme. Cambray fe donne au duc £ Anjou y & reçoit garni/on Françoife. Ceux de Bruxelles furprennent Nivelle. Les jeigneurs VaU Ions furprennent Courtray. Prife de Ninove par de la Noue. Malines prife £*f pillée par les Anglois. la Noue affiége Engelmonjler, Il fait une tentative
SOMMAIRES. Vij
fur Lille. Le comte de Richebourg attaque fin camp d'Engelmonfier. La Noue efl fut prifonnier ,& livré ïwM aux Efpagnols. Tentative des Efpagnols fur Bruxel- '
les & fur Gand. Prife de Bouchain. Les Provinces- Vnies fe donnent au duc £ Anjou. Médailles frappées a ce fujet. Manifefte de l archiduc Mathias à cette occafton. Réponfe des Etats. Tremblement de terre dans les Pais -bas. Le comte de Renne bourg gouver- neur de Frife , fonge a abandonner le parti des tEtats. Le prince d'Orange tâche de le prévenir y en faifant rafer les forterejfes de la Frife. Le comte de Renne- bourg fe rend maître de Groningue , & fe déclare en faveur des Efpagnols. Le comte de Hohenlo ajfége Groningue. Défaite de ce Comte à Herdenbergpar le général Martin Schenck? Divers exploits des comtes de Hohenlo & de Rennebourg. Le roi d* Efpagne met À prix la tête du prince d Orange. Origine de lafeSie des Anabaptiftes , jg) leurs dogmes. Mort de Jean Willelmi leur roi. Morts illuflrcs , de Gérard de Groejberg évêque de Liège > du cardinal de Moron , de Jérôme Volff, d Emmanuel Tremellius , de Jérôme Su- rit a y£ Alvar GomeTj^ de Jérôme Oforio. Mariage de 1 archiduc Ferdinand , fils de l Empereur du même nom, avec Anne - Catherine prince Jfe de Mantou'è fa méce.
SOMMAIRE DU LIVRE LXXIL
S Vite des affaires de France. Les P rot efl ans re- prennent les armes. Prife de Cahors par le roi de Navarre. Mende capitale du Gevaudan furprife Cs» Jaccagée par le capitaine Merle,- Le prince de Condé
viij SOMMAIRES.
:. a fon retour d Allemagne efi arrêté fur la frontière
Henri fo Savoy e ., fans être reconnu. Il Je rend en Lan- guedoc. Progrès des Protcflans dans cette Province. 1 * Exploits de M. de l Efdiguiéres en Duuphiné. Le duc
de Mayenne marche contre lui. Prife de la Mure par r armée du Roi. Le Duc fe rend de la a Greno- ble. Entrevue du Duc & de l Efdiguiéres. Expédi- tion du ynaréchal de Biron en Guyenne. Le ficur de Poyanne fe rend maître du mont de Marfan. Le ma- réchal de Biron fait tirer fur Nérac , ou la reine Mar- guerite s'était enfermée. Il fe cajfe la cuijje. Par confîdèration pour lui y l armée met a fa tête Charle fon fils y âvé feulement de quinze ans. La Réole re- mife au Roi par d Vjfac. Expédition du maréchal de Matignon en Picardie. Prife de la Père par l ar- mée du Roi. Le duc d Anjou s entremet y pour faire un accommodement. Conférences de Fleix. Editpu*» blié en conféquence en confirmation des précédens. La contagion ré?ne a Paris. Incendie de l'églife des Cor* de lier s. Maladie nommée communément Coqueluche. Sa nature. Différend entre les ducs de Monpenfier fg) de Nevers. Arrêt du Parlement de Paris au Jujet dune Bulle du Pape. Aff lires du N^rd Suite de la guerre des Polonais contre les Mofc otites. Am~ bajfade du C%ar au Roi de Pologne. Le Pupe envoyé à ce Prince une épée bénite. Revue de L'aimée Po- lonoife. Exploits du chancelier Zamoyskj. Prife de Lukj par le roi de Pologne. Déroute de l'armée M <f covite. Prife de Neuve l par les P Aonois. Nouvelle ambaffade du C^ir. Nouveaux exploits de Zimoyski, Diète de Varfovie. Ambajjade des Turcs ^ & des Tan tares au roi de Pologne,
SOMMAIRE
SOMMAIRES. ix
Henri
SOMMAIRE DU LIVRE LXXIII.
S Vite des affaires d'Orient, Muftapha général des armées Ottomanes contre la Perfè eft rappelle. ° ^\\ aman Bâcha part pour le remplacer. Ombrages du ~ roi de Perfè contre Abas Miri^e le dernier de f es fils. Ce Prince envoyé Maxud-Can en ambaffade à la Porte. Sinan fe rend a Er^rom , {g) de là à Cars. Affaffi- nat du Grand Vifir Mehemet. Sinan eft nommé pour le remplacer. Mort de Muftapha. Tiflis ravitaillé par Sinan. Il reçoit les députés de Leventogli prince Géorgien. Défaite des Turcs par les Perfans. Sinan fe rend dans les campagnes de Chielder , ou il refte en bataille pendant plufieurs jours. Il négocie avec un envoyé du roi de Perfe. Retour de l'armée Turque fSEs?; à Er^erom. Rappel de Sinan à Conftantinople. Mou- M^1* vemens en Afrique. Révolte des Mores de Tunis. Vlucciali renforce la garnifon de cette place. Suite des affaires du Nord. Continuation de la guerre con- tre les Mofcovites. Mort de Chriftophle Batthory vaivode de Tranfylvanie , & frère du roi de Pologne. Plaintes du Czjir contre ce Prince. Ru/es du C%ar. Lettre piquante du roi de Pologne à ce Prince. Za- moyskj déclaré Généraliffime de ï armée Polonoife. Le roi de Suéde attaque la Livonie. Prife d'oftrovvpar les Polonois. Defcription de Pleskpvv. Siège de cette place. Exploits de Pontus de la Gardie gentiL homme du Languedoc 3 Commandant de t armée Sue~ doife en Livonie. Le Père Poffevin Jéfuite travaille À la paix entre la Mofcovie ^ la Pologne. Murmure Tome V III. c
x SOMMAIRES.
— - des Polonois contre Zamoyskj. Le roi de Fologiie
?tt qmtte L'armée , pour Je rendre a la diète. Suite du, s fîe£e ^e Pteskpvv. Conférences pour la paix entre les ambajfadeurs Mofcovites jg) ceux de Pologne. Pu- blication des Conférences entre férémie patriarche de Conjiantinople gj les Théologiens de la confeffion d'Auf bourg. Suite des affaires de Portugal. Philippe IL tient les Etats à Tomar. Dejfein d abolir iVniver- Jîté de Coimbre. Le Pape félicite Philippe fur fes heureux Jùccès. Entrée de Philippe II. à Lifhonne» Tentative des Efpaanols fur l'ifle de Tercere. Le Tage rendu navigable jufquà Tolède.
SOMMAIRE DU LIVRE LXXIV.
S Vite des guerres de Flandre. Siège de Steen- wïck. Le prince d'Orange pajfe en Frife. Mort du comte de Renncbourg. Défaite des Anglois par les Ejpagnols. Troubles a Bruxelles. Deffein du prince de Parme fur Flejfngue. Prije de Breda par les Ef pagnols. Manifefle du duc d Anjou fur fon entrée dans les Pais - bas. Ecrit du duc de Nevers , pour juflifier les droits de fa femme fur ces Provinces. Le- vée du Jîége de Cambray. Le date d Anjou y entre en triomphe. Il paffe en Angleterre. Les Etats Gé- néraux affemblés à la Haye , renoncent à lobéijfance de Philippe. L archiduc Mathias fort des Pais-bas» Prife de Tournay par le prince de Parme. Apologie du prince cl Orange. Tentative des Ejpagnols Jur Bergh-Op-Zom. Troubles £ Aix-la-Chapelle au fujet de la Religion. Affaires d'Angleterre. Ambajfadeurs
SOMMAIRES. xj
envoyés de "France a Londres ypour négocier le mariage du duc d! Anjou avec Elifabeth. Articles du Contrat, j j j Ils font ratifiés par le duc d' Anjou. La Reine & lui r , 3 Y fe donnent réciproquement leurs bagues. Rupture de ce mariage. Raifons pour & contre. Libelle publié à ce fujet par les Puritains. Edit févére contre cet écrit. Punition de l Auteur. La Reine efl informée par fes émijf aires de ce qui fe trame contre elle. Pu- nition de Hanfey , ci r Edmond Campien, ^) de deux autres jféfuites accufés d avoir confpiré contre la perfbnne de cette Princejfe. Edit contre les Jéfuites. Apologies publiées par les Catholiques. La Reine envoyé en Ecojfe Thomas Randolph. Ses intrigues en faveur du comte de Morton. Condamnation de ce Comte. Af- femblée des villes Anfeatiques. Suite des affaires de France. Mariage du duc de foyeufe. Concile pro- vincial tenu à Rouen. Le maréchal de Matignon Lieutenant général pour le Roi en Guyenne. Commif- fion extraordinaire du Parlement de Paris envoyée dans les provinces» Conduite du maréchal de Retx. dans le marquifat de Saluées. Entreprife du duc de Guife fur Strafbourg. Troubles de Malthe. Entre- prife des Efpagnols contre le Grand Maître. Il efl arrêté. Il en appelle au Pape , & va à Rome. Ro- megas fon accufateur , s y rend après lui. Mort de lun & de t autre. > Hugue Lope\ de Verdale efl élu Grand Maître. Morts illuflres y de Jacque Billy de Prunay, de Guillaume Poftel > de Hubert Langue 't , d'André Papius , &c.
c ij
xij SOMMAIRES.
SOMMAIRE DU LIVRE LXXV.
S Vite des affaires de France. Mort du maréchal le Cojfé. Le duc de Mayenne <va commander en uuuphiné. Confirmation des Edits donnés en faveur > des Protefians. Affemblée du Clergé tenue à Paris.
Elle députe au Roi. Ses demandes. Succès de cette députation. Defcription des Açores. Dom Antoine ote le gouvernement de lifle de Tercere à Figuéredo , pour le donner à Emmanuel de Sylva. Expédition de la flot e Françoife , montée par D. Antoine çt) Philippe StroT^i , aux Açores. Arrivée de Landereau k la, Tercere. Difpute entre ce Seigneur & le nouveau^ Gouverneur. Combat entre les flotes de France q) d EJ pagne. Défaite des François. Mort de StroTgj* Cruauté du marquis de Santa Crux. amiral de la flote Ejpagnole envers les François. Arrivée de la flote des Indes a Lifbonne. Dom Antoine repajfe en France. Mort de l'infant D. Diégue fils aîné du roi d Ej rpa- gne. Mort du duc cl Albe -g) de D. S anche £ Avila. Cruauté de Philippe II. contre le Clergé Portugais, Suite des guerres de Flandre. Arrivée du duc d'An-* jou en Zé lande. Il efl proclamé duc de Erabant. Son entrée a, Anvers. Lens pris & repris. Les Etats de Haynaut ^) éC Artois conj entent de recevoir des trou- pes étrangères. Attentat a la vie du prince d Orange. Punition de Jarreguy laffajfm , & du P. Timcrman Jacobin. Mort de la prince ffe d'Orange. Prife dOu- denarde par le prince de Parme. Prife £ Aloft parles François > C^ de Gaejbergue par les EJpagnols. Combat
EN RI
SOMMAIRES. xiij
proche de Bergue-S aint-Vinox. Lire livrée aux Ef- 77 pagnols par les Ecojfois. Conjuration de Salfede. Ses j { j déportions. Mort du Premier Préfident de Thou. Xc$lf Le Roi nomme pour le remplacer Achille de Harlay Jon gendre.
SOMMAIRE DU LIVRE LXXVL
S Vite des guerres de Flandre. Le duc d Anjou fe rend a G and. Combat donné proche de cette ville, Exploits des François jg) des Espagnols. Arrivée dun envoyé du Grand Seigneur aux Pais-bas , aufujet du commerce. Continuation de la guerre en Frifè. Prife du général Schenck. Il quitte le parti des Efpagnols , & PaJfe au fewice des Etats. Tentative de Verdugo fur Lochem. Il fur prend Steenvvic^. Suite des af- faires de France. Mollejfe & indolence de Henri II I, Troubles du royaume. Réforme du Calendrier. Sour- ces de V erreur qui sy étoit glifée. HéleEleur de Saxe empêche quil ne foit publié en Allemagne. Il efl reçiï en France & dans les Pais-bas. Concile pro- vincial de Bourde aux. Renouvellement de l alliance de la France avec les Suijjes. Morts illu/ires y de Jacques Pelletier , de Joberty de Buchanan. Origine de la guerre de Cologne. Antiquités de cette ville \ Entreprifes de Gebbhard EleEleur de Cologne. Il fa- vurife les Protefians. Il fe marie s & veut retenir Jon Archevêché. Il envoyé des Députés à la diète dAuJbourg. Le Pape lui écrit. Edit quil fait pu- blier en Javeur de la liberté de confcience. ExtinSlion
de la famille des comtes de Hoie. Suite des affaires
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«*•■-*•
*iv SOMMAIRES.
!== du Nord. Continuation du Rêve de Pleskow. Paix t y j entre la Pologne £sf la Mofcovie , conclue par l entre* o mtfe du Jéfuite Poffcvin. Conteflation entre les rois de Pologne ^) de Suéde fur la propriété de la, Livo- nie. Ambaffade du fcam des petits Tartares au roi de Pologne. Jankpla waivode de Valachie pris par les Polonois y & puni de mort. Diète de Pologne. R^é- glemens faits par cette aj] "emblée; Etabliffement dun évéché a Wenden , au lieu de î archevêché de Riga > qui étoit aboli. Armement des petits Tartares contre la Pologne. Règlement des affaires de la Pruffe Royale. Défaite de quelques troupes Turques en Hongrie.
Fin des Sommaires du huitième Volume,
HISTOIRE
HIST
IRE
D E
JAC QJJ E AUGUSTE
DE THOU.
LIVRE SOIXANTE- SEPTIEME.
E fat cette même année qu'on vit s'allumer entre les Perfes & les Turcs une guerre des -" E n r i
III.
1578.
plus longues & des plus fanglantes. Ainfije crois qu'ileffcà propos que je rapporte ce qui en fut l'occaiion , èc que je donne par conle- Ujjjg| qUent quelque idée de la Perfe telle qu'elle effc aujourd'hui , de Ion origine , de fa grandeur, & de l'hiftoire des Princes qui l'ont gouvernée.
Il feroitinutile de vouloir rechercher quelle a été la pre- mière origine des Perfes. Depuis que ce grand Empire eut été détruit par Alexandre dans cette bataille mémorable qui fe donna entre lui & Darius fous les murs d'Ajazzo proche Tome VIII, A
Guerre dt Pcrfe,
On'crînc des
Perfes,
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i HISTOIRE
— du mont Amanus ( i ) , on vit infenfiblement les Parthes devCJ- Henri nir fameux fous le régne des fucceiïèurs de ce conquérant, III. Parmi cette nation les Arfacides fe rendirent redoutables aux i c7s Romains même, & ils étendirent leur domination fur l'Ar- ménie , la Medie , la Perfe , & les autres provinces qui font fituées à l'Orient.Enfin on vit renaître le nom des Perles fous l'empire d'Alexandre fils de Mammée. Artaban dernier roi des Parthes , qui le premier voulut s'appeller le Grand Roi ,. & qui portoit une double couronne , fut vaincu dans plufieurs combats par Artaxerxes prince Perfan • & il y perdit enfitt l'empire & la vie. Herodien fixe l'époque de cet événement à la quatorzième & dernière année de l'empire d'Alexandre 5, c'eit-à-direàl'an 126. de J.C.
Artaxerxes ayant ainfi éteint le nom des Parthes , ne vou- lut pas voir fon Empire borné par le Tigre. Il entra fur les terres de l'empire Romain , fit des courfes dans la Méfopota- mie , menaça long-tcms la Syrie , & prétendit faire valoir fes droits fur toute cette partie du Continent, que l'Archipel ôc la mer de Marmora féparent de l'Europe , & qu'on appelle l'Afie mineure, parce qu'il regardoitces païs comme l'ancien héritage des Perles , dont il difoit que par conféquent la pof. feffion lui étoit dévolue. Il fondoit fes prétentions fur ce que depuis Cyrus , qui transféra l'empire des Medes aux Perfes , jufqu'à Darius , qui fut le dernier Roi de cette nation , les Princes qui régnèrent fur la Perfe , envoyèrent toujours des gouverneurs dans l'Ionie &; la Carie.
Ses SuccelTeurs tinrent la même conduite , &: confervérent les mêmes prétentions jufqu'à Cofroës , qui époufa la prin- ceiTe Marie , fille de l'empereur Maurice : c'eft au moins ce que dît Guillaume archevêque de Tyr , dans fon excellente hifloire des Croifades, le feul Hiftorien que je fçache qui parle de ce fait. Cependant vers l'an 603. Maurice, après avoir ré- gné trente ans, fut détrôné par Phocas, qui le fit mourir avec le prince Pierre fon frère , fes fils, &: l'Impératrice fon époufe , & qui fe fit enfuite abfoudre de ce parricide par Boniface III. à qui il accorda le titre d'Evêque univerfel , que le Pape Grégoire , prédécefTeur de Boniface , venoit de
(1) Ajazzo ville d'Anatolie ; c'eft l'ancien IiTus de la Cilicie. Aman ou
Amanus Montagne proche de cette ville, maintenant appelléMonte-Negro,
DE J. A. DE THO U,Liv. LXVIL 3
condamner dans Jean patriarche de Conftantinople. Mais tandis que cet uiurpateur travailloit au dedans à affermir fon Henri autorité , il négligea cependant les foins du dehors • & Cof- III. roës, fous prétexte de vouloir venger la mort de fon beau- 1 578. père , prit cette occafion pour s'emparer de la Syrie. Ainfî pendant fept ans que dura le régne de Phocas , le roi de Perfe défola les frontières de l'Empire, jufqu'à ce qu'il fut défait enfin par l'empereur Heraclius , qui remporta fur lui cette victoire mémorable dont il eft fait mention dans l'hiftoire.
Ce fut fous l'empire de ce Prince , qui favorifa d 'ailleurs le Monothélifme , que la fede impie de Mahomet prit naiiïance. Ce fédudeur eut plufieurs fucceiTeurs , qui portèrent tous le titre de Califes. Le quatrième fut Aly , coufin & gendre de Mahomet. Aly de fon mariage avec Fatime, fille de ce faux Prophète , eut deux fils qui remplirent la même place l'un après l'autre. C'eft cet Aly qui a donné lieu au fchifme qui divife encore aujourd'hui les Mahometans -y en forte que les Turcs quife difent Mufulmans, c'eft-à-dire, vrais fidèles, ont toujours regardé comme hérétiques les Perfes êclesMam- melucs , tant que l'empire que ces derniers avoient fondé en Afrique a duré. DeJà eft née entre ces nations une haine mortelle , qui a donné fouvent occailon aux guerres les plus fanglantes.
Mahomet, un des defcendans d'AIy Abbas , c'eft-à-dire," forti de la famille d'Abbas , Se d'Aboubeker beau-pére £c fucceffeur du faux Prophète , fonda la ville de Bagdad fur les ruines de l'ancienne Seleucie , proche du lieu où. étoit autre- fois Babylone , & y fixa le fiége de fon empire. C'eftfa doc- trine , & celle de fes fucceiTeurs que les Turcs fuivent au- jourd'hui.
D'un autre côté Abdalla defcendu d'AIy I. étant forti de la ville de Semelie vers l'an de l'Hegire 286. comme le rap- porte Guillaume deTyr au livre dix-neuvième de fon hiftoire, palfa en Afrique, dont il fit la conquête, &; prit le nom de Mehedie , c'eft-à-dire , le Complanateur , voulant marquer par-là qu'il étoit venu pour apporter la paix , & applanir les voies aux vrais fidèles. Ce Prince mit en mer une puiflànte flote , avec laquelle il fe rendit maître de la Sicile , & defola une partie des côtes de la Calabre. Enfin il prit auflî le titre
Ai;
HISTOIRE
- de Calife en qualité de fuccefïèur , non pas de Mahomet 61$
Henri d'Abbas , qu'il déteftoit h mais d'Aly , ce faint &: excellent III. Prophète , dont il Te glorifioit de tirer fon origine. Son petit- i c7g# fils , nommé Abuthamin , après avoir conquis l'Egypte parle miniftére de Joar général de fes armées , fit bâtir lur une des rives du Nil proche de Memphis la ville , du Caire ; &: depuis ce fut là que les Califes d'Afrique , rivaux de celui qui faifoic faréfidence à Bagdad , tinrent leur cour & établirent le fiége de leur Empire. Ces Princes qui réuniiîoient l'autorité fpiri- tuêllc ôc temporelle, avoient fous eux des lieutenans ou vi- caires appelles Soudans. C'étoit à ces miniftres qu'ils remet- toientlefbin du gouvernement civil &militaire5poureux,con- tens de s'attirer la vénération des peuples, en confervant le titre de Chefs de la Religion , ils pafToient leur vie au milieu des femmes , dans le luxe , &; dans la mollelle. Mais comme la fidélité fe trouve rarement jointe dans un miniftre avec uis pouvoir prefque fouverain , Saladin,fils de Négémédin, & neveu de Siracon dernier Soudan d'Egypte, étant venu rendre fes devoirs au Calife le premier jour qu'il entra en charge , l'abattit, dit-on, à fes pieds d'un coup de mafîuè* qu'il portoit, & le fit égorger avec toute ià nombreufe famille Pan 1 173. Telle fut la fin des Califes d'Egypte. Pour ce qui eft du Calife de Bagdad , il périt environ cent ans après par les mains des Tartares qui envahirent fori empire , & qui , pour le punir de fon avarice par un fupplice convenable , le firent mou- rir de faim au milieu des tréfors immenfes qu'il avoit amafïes* Après l'extinction- de l'empire des Califes, leur doctrine ne laifTa pas d'avoir encore fes féclateurs. Les Perles & les Mam- melucs s'attachèrent àla Religion d'Aly, déteftant tout autre culte , &; ne longeant qu'avec horreur aux trois premiers fuc- cefïèurs de Mahomet qui l'avoient précédé. Auiîi finiflent-ils toutes leurs prières par ces rnots,"Maudirs foientAboubeker, » Omar, & Ofman -y & Dieu fafTe miféricorde à Aly , &: pren- 55 ne en lui fon plus grand plai/ir. « On voit encore aujour- d'hui à Cufa ville voifîne de Bagdad , dont elle n'eft éloignée que de deux milles , le tombeau de ce prétendu fàint , pour lequel lesPerfàns ont une vénération finguliére. C'eft-làque par un ancien ufage les rois de Perfe vont prendre pofTeiïion de leurs Etats , & ceindre l'épée , avant que de monter ku le trône>-
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Au relie ce furent les Tartares qui portèrent dans les royau- ' ■ mes d'Azemie ( car c'eft. ainfi qu'ils nomment la Perfe ) la Re- Henri ligion de Mahomet, lorsqu'ils envahirent ce vafte empire. III. Deux familles forties delà Mingrelie, au deflus de Trébi- i ^78. fonde, lui donnèrent long-tems des maîtres j &: elles y for- mèrent deux factions , que Nicolas Chalcondyle appelle les Mauroprovates, 6c les Alproprovates, &: que les Perfàns nom- ment les Acojonbegs,Sc les Caracojonbegs; c'eft ainfi qu'on a vu en Ang-leterre les factions de la Rofe blanche, Se de laRofê rouge. Or comme celles-ci fe réunirent enfin toutes deux dans Henri VIL de même Schak-Ifmaël Sophy réunit dans fa perfonne les deux factions qui divifoient la Perfe.
En effet Ufun-Chaflan , comme fils de Tachretin , defcen- doit des Acojonbegs. Tachretin étoit forti deTachretinbeg , à qui Chalcondyle donne le nom d'Alexandre ; 6c il réunie les Etats du prince Tartare fon père , dont la domination s'é- tendoit fort loin fur ces païs qui font au deflus deTrébifonde, &, ceux d'Eretin fbn oncle qui régnoit fur la haute Afie. Mais ce Prince ayant perdu la vie par les intrigues de la Reine fon époufe , fon fils fut aufîi privé de fa Couronne , de il ne rentra en pofîèffion de fes Etats que parlefecours deTemyr, autre- ment Tamerlan , qu'il fuivit dans fes conquêtes , & qui le remit fur le trône.
D'un autre côté.Ifmaël tiroit fon origine des rois d'Armé- nie. Ce Prince eut pour ayeul Tzuneit, de la famille des Bre- bis noires , que l'hiftoire des Turcs dit avoir été détrônée fous le régne d'Ofman ,un de leurs Saints , troifléme fucceflèur de Mahomet. Tzuneit fe diftingua parmi Ces compatriotes par la fainteté de fa vie ; 6c fon nom devint fi célèbre , que parmi les Turcs , non feulement le peuple, mais les Seigneurs même, fe faifoient un devoir de lui rendre les mêmes honneurs ôc le même culte qu'à Ofman. Les Princes Ottomans eurent eux-mêmes pour lui la même vénération & les mêmes égards jufqu'à Mahomet IL qui négligea cette pieufe coutume de fes prédéceflèurs. C'eft ce qui donna occafîon à la guerre qui s'al- luma entre lui & Ufunchaflan , & qui ne rut terminée que par une bataille fànglante , où le prince Perfan s'étant trouvé dans un péril extrême de la vie, fit vœu, au cas qu'il pût fortir de ce danger,de donner en mariage à Haidar, fils de Tzuneit^
Aiij
6 HISTOIRE
la Princeflè Marche fa fille, qu'il avoic eue de Catherine
Henui Comnene , fille delà Dame de Trébifonde. En efFec aufîitôt
III. après cette guerre il accomplit la promeflè qu'il avoit faite ,
1578, 5c réunit par cette alliance les deuxmaifons des Acojonbegs,
& des Caracojonbegs.
C'eft de ce mariage que fortit Ifmaël, qui le premier des Rois de Perfe prit le nom de Sophy , c'eft-à-dire , faifànt pro- fedion de la pure Religion. Ce Prince fuccéda à Imirze-Beg fon.coufin germain , & petit-fils d'Ufunchallan , mais dont le père n'efl: point connu -y & non feulement il rétablit en Perfe la Religion d'Aly1, il y ajouta encore de nouvelles pratiques , & de nouvelles fuperftitions. Au refte quoiqu'Ufunchaflan eût laiflè en mourant une poftérité fort nombreufe , cepen- dant à l'avènement d'Ifmaël à la couronne, le royaume Ce trouvoit fort délabré par les cruautés inoùies que le perfide Jacupe avoit exercées. Le nouveau Roi lui rendit fon ancienne Splendeur. Il l'augmenta même de l'Arménie majeure , de PAiTyrie , de la Méfopotamïe,6c de la Chaldée,foumit tous ces petits Princes qui régnoient dans la Mingrelie 6c la Géorgie, le long de la mer Caïpienne ,& étendit les bornes de fon em- pire du côté de l'Orient , 6c du Midy , jufqu'à l'Arménie mi- neure. Mais comme Paul Jove a écrit fort au long tout ce qui regarde le régne de ce Prince , 6c celui d'Ufunchaflan , je ne crois pas qu'il foit à propos de m'arrêter ici plus long-tems à en parler.
A Ifmaël Sophy fuccéda Tan 152.6. Schak Thamas fon fils , dont nous avons parlé quelquefois dans cette hiftoire. Ce Prince eut beaucoup à fouffrir des Turcs fous le régne de Soliman , qui lui enleva toutes ces provinces que fon père avoit conquifes , 6c même la ville de Tauris , où Ifmacl avoit fixé le fiége de fon empire. Cependant Thamas reprit cette place quelque tems après. Enfin après avoir eu bien de la peine à obtenir la paix des Turcs , qui ne la lui accordèrent qu'à des conditions très-dures, il mourut il y a deux ans le onziè- me de Mai 1 576. D'autres difent que fa mort arriva un an plutôt. Defcription Dans le tems que cette cruelle guerre a commencé, la Perfe de la Perfe. étoit bornée au Nord par la mer Cafpienne 6c la Mingrelie , £c à l'Occident par Chars 6c les montagnes deChielder, Là
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élc fait un coude vers l'Orient , &c paffant au defTus du lac d'Aetamar , fur lequel eft la ville de Van , que les Turcs ont Henr t. enlevée aux Perfans, elle renferme les villes de Coy , de SaL III. mas , & à droite, en tirant vers le Midi , celle de Sereful. En- 1578, fin de ce côté-là elle s'étend jufqu'au golphe de Ralfora, où l'Euphrateva fe jetter dans la mer de Perlé proche de cette ville. Elle a pour bornes au Midi cette même mer avec les monts de Techifnandan • à l'Orient la province d'Heri , & le royaume de Candahar , ou le Peripanifb, lui fervent de fron- tières j & retournant au Nord on y trouve la province de Co- rafïbn , Se Sammarcant, qui confine à la Tartane par le Za- gathay. Dans cette vafte étendue de païs font renfermées à l'Occident la Géorgie , l'Arménie , &. une partie de l'Afïyriej au Nord le Kilan & l'Adirbeitzan , où eft la ville de Tauris ■ à l'Orient PHyrcanie , ou le Tabareftan , la province d'Heri , ou le royaume de Candahar j enfin au milieu, la Parthieou province d'Arak, la Carmanie deferte^ &: vers le Midi, la Perfide, ou le royaume de Farlifkan , dont Syras eft. la ca- pitale.
Ce vafte empire , malgré ce que les Turcs en avoient en- levé^contenoit encore foixante & dix gou vernemens à la mort de Thamas. Cependant il n'étoit pas pofîible d'y mettre fur pied plus de quarante mille chevaux -y ce qui paroît furpre- nant, fî on compare un fî petit nombre de troupes avec l'é- tendue immenfe de païs que renferment ces provinces. Mais il y en a une raifon fort naturelle. La Perfe eft pleine d'une infinité de petits Seigneurs qui ne craignent pas de défobéïr aux ordres du Prince. D'ailleurs les Grands du royaume font beaucoup plus puifîans qu'en Turquie : & comme leurs biens ne font pas des fiefs qu'ils tiennent du Sophy, ou des bienfaits de la Cour $ mais que ce font des fonds qui paflent d'eux à leurs enfans, ils vivent fplendidement , &; font moins difpofes à prendre les armes au premier commandement du Souverain. Le Roi entretient outre cela auprès de fa perfonne fix mille Chourdes , qui font comme la nobleflè de Perfe. Ils ont plu- sieurs Officiers, &; font commandés par un des premiers Seigneurs de la Cour. Il a encore un autre corps fubalterne compofé d'environ fept mille hommes, qu'on nomme Ezahulj &; leur Commandant eft aulïï un des grands officiers de la Couronne,
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■■ Toutes les forces de la Perfe ne confident qu'en cavalerie.
Henri Aufîi les chevaux de ce païs font-ils excellens , légers à la III. courfe , d'un grand travail , aifés à nourrir , vifs au combat , ï 578^ & f°rC d°ux d'ailleurs- c'efi ce qui les rend très-chers. La plupart fe vendent jufqu'à mille ou douze cens Sequins , èc même davantage. Pour l'infanterie, qui fert à fojûtenir, ou former des fiéges,les Perfansne s'en ièrvent prefque point, Comme ils n'ont point de places fortes, contens de défendre leurs frontières en pleine campagne , ils ne fe foucient point de renfermer des troupes dans leurs villes. Ils n'ont point non plus l'ufage du canon , quoiqu'ils n'ignorent pas l'art de le Fondre , & que la matière nécefTaire pour cela ne leur manque point. Cette mauvaife coutume les a rendus plusieurs fois la viftime de l'infanterie Turque. Cependant les pertes qu'ils ont faites n'ont encore pu leur apprendre, à leurs dépens., quelle étoit leur erreur fur cet article 3 Se ils ont la vanité de ne pas vouloir fe corriger. S'ils changeoient de conduite , ils eraindroient que ce ne fut reconnoître , ou plus de bra- voure dans leurs ennemis , ou leur fupérioricé dans l'art militaire.
Les Perfans au relie font naturellement légers , fourbes , •toujours prêts à profiter de la moindre occalîon de brouiller qui fe prefentera. Aufîi n'y a-t'il rien de plus commun parmi pux que de voir éclater quelque conjuration contre la perion- ne du Souverain. On ne trouve pas même d'union dans la fa- mille royale. Lqs frères y font trahis par les frères , &; les pè- res fouvent y deviennent la victime de l'ambition de leurs en- fans. Du relie lorfqu'ils ne font point occupés à la guerre , ils s'appliquent volontiers à l'étude des feiences. La Philofophie , Ja Médecine 9 les Mathématiques , font celles fur-tout qu'ils aiment le plusj & on prétend qu'on trouve chez eux plusieurs auteurs Grecs dont nous avons perdu les ouvrages, qu'ils con- servent traduits en leur langue.
Pour ce qui eft des revenus du royaume , ils montoientfb.us le régne de Thamas environ à douze ou quinze millions. Mais après les pertes confidérables que la Perfe a faites de- puis que le Turc lui a enlevé une partie de fes provinces , .&: que les Seigneurs qui relèvent de cette Couronne fe font ren- dus indépendans jufqu'à ne plus payer de tribut, à peine
entre-t'il
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entre-t'il tous les ans dans le tréfor de Cafbin fix millions , g—1— qui font abforbés 6c au-delà , par les dépenfes que la Cour eft Henri néceiîairement obligée défaire. Ainiîileftimpoffible que le III. Prince ne foie toujours fort à l'étroit. 1 57$,
Au refte Thamas laifla en mourant une nombreufe poflé- ricé , outre la princefle Peria-Concona , qui étoic l'aînée de fes enfans , il avoit encore onze fils , dont le troifiéme nom- mé Haidar-Mirize lui fuccéda. Mais fbn régne ne dura que peu de jours. Il avoit deux aînés , Mahomet-Hodabendes de Ifmaél. Thamas s'étoit dégoûté de Hodabendes , qui avoit embrafle l'état Religieux , 6c lui paroiffoit peu propre à por- ter la couronne , &c il avoit nommé Ifmaél pour fon fuccef. leur. Ce Prince étoit alors prifonnier dans la fortereiîe de Cahaca , arTez près de Cafbin , où on l'avoic relégué à caufè de fes violences , & parce qu'il ne cefloit de faire des courfes fur le païs ennemi. Ce fut-là que les grands de l'Empire lui députèrent , pour le prier de venir prendre pofTeffion d'un trône que fon père lui avoit deftiné.
Ce Prince ie diipofoit à fe rendre dans la capitale , lorf- qu'Haidar-Mirize , qui comptoit fur le crédit de la protection de Peria-Concona , qui comme lui écoit fortie d'une fœur de Sahamal prince de la Géorgie , monta fur le trône , fans pré- voir les fuites que cette démarche alloit avoir. Déjà même par un aveuglement infenfé , il commençoit à faire le maî- tre , lorfqu'il reconnut , mais trop tard , qu'il avoit fait un mauvais pas , 6c que fa fœur ne l'y avoit engagé que pour le perdre. Toutes les troupes le foulevérent , le palais Kit aflîé- gé en un inftant. Dans cette circonftance , ce malheureux Prince qui avoit eu aflèz de hardieiTe 6c de témérité pour • s'emparer de la couronne , manqua de courage , 6c alla cher- cher lâchement un afile dans le fond de fon Sérail. Mais il ne fut pas-là même en fureté. Sahamal fon oncle craignant qu'Ifmacl n'étendît fa vengeance jufque fur lui , 6c voyant que la retraite de l'Ufurpateur augmentoit encore la fureur des féditieux , qui avoient Zalchan à leur tête , alla le cher- cher jufqu'au milieu de fes femmes , où il le tua de fa propre main. Après cette action, il jetta fa tête encore toute fanglante au milieu des conjurés ; 6c par-là il appaifa la rage de ces fu- rieux, qui çommençoient déjà à enfoncer les portes du palais. Tome VIII. B
io HISTOIRE
Cependant après qu'on eut rendu à Thamas les derniers Henri devoirs , félon î'uïage de la Nation , Ifmaël fit fon entrée III. dans la capitale, 6c commença à régner , par faire mourir jf-jg, huit de (es frères 3 coutume inhumaine qui eft aidez en ufage parmi les Turcs , mais dont jufqu'alors on n'avoiteu en Perfe aucun exemple. Ce Prince barbare n'en demeura pas-là. Il donna ordre de chercher dans toute la ville les parens, les alliés , ou amis des Princes infortunés , 6c les fit égorger à Ces yeux. Ainfi commença à couler le fang des premières famil- les du royaume , où cette cruauté répandit le deuil 6c la dé- flation , 6c fut un préfage bien trifte pour l'avenir. D'un autre côté , le peuple qui s'étoit laiile prévenir en faveur du choix du feu Roi , 6c par les efpérances rlateufes , que le nom d'iimaël que ce Prince portoit, comme fon ayeul , luiavoit données , changea tout d'un coup l'affection qu'il avoit pour lui en haine 6c en défefpoir. Cependant le nouveau Roi pour montrer que c'étoit par principes 6c non par férocité qu'il s'étoit porté à cette violence, 6c pour avoir des exemples dont il pût s'autorifer , abandonna la Religion des Sophis , 6c em- braiîà la fede des Turcs , déclarant qu'il déteftoit la doctri- ne d'Aly , qu'il regardoit , difoit-il , comme abominable 6c capable de porter les hommes aux plus grands excès.
Quelques-uns crurent que cette première démarche étoit une adrefle du Prince pour engager les peuples de la Méfo- potamie , de la Chaldée 6c de l'Aflyrie , qui ne reconnoiiïènt point Aly. Mais foit que ce fût cette raifon qui l'engagea à changer de Religion, foit qu'il cherchât dans un autre des exemples pour autorifer fon parricide , il eft certain , que rien ne lui fît perdre davantage l'affection des Perfans que cette apoftafie , qui les indifpoïà beaucoup plus contre lui , que toutes les cruautés qu'il avoit exercées. Ce qui acheva de le rendre odieux, ce fut la conduite qu'il tint à l'égard du ca- life de Cafbin. C'eft le nom que portent encore aujour- d'hui en Perfe les docteurs de la loi Mahométane , qui ont confervé l'ancien titre des premiers fondateurs de cette Secte impie. Ils ont au-deffus d'eux un iouverain Pontife qu'ils appellent Muftaed-Dini-, c'eft-à-dire , Frince de la Loi, qui tient parmi eux le même rang que le Mufti chez les Turcs. Ce Calife ayant donc ofé le premier s'oppofer aux entreprifes
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d'Ifmaël , eut auffitôt les yeux crevés par fon ordre. En -'» mm}-1--
même tems il fe répandit un bruit , que ce Prince faifoit de Henri grands préparatifs pour fe rendre à Bagdad , où à l'exemple III. de Soliman empereur des Turcs , il vouloit aller faire la céré- 1578. monie de fon couronnement.
Tant de violences ne pouvoient manquer de coûter à If- maêl bien des remors , & de le tenir dans une défiance con- tinuelle. Comme tout le monde le craignoit , il appréhen- doit aufli tout le monde. Ainfi pour diflinguer Ces ennemis de ceux qui lui étoient attachés , & tirer vengeance de ceux qui avoient confeillé au roiThamas fon père de le faire arrê- ter , & de le tenir éloigné de la Cour , il imagina un moyen à peu près femblable à celui dont l'hiftoire d'Afrique rap- porte que fe fervit Mariem fœur d'Abdala , 6c dont nous avons parlé fous l'an 1 5 57. il fe retira dans l'endroit le plus reculé de fon Palais, &c fit répandre le bruit de fa mort par £es confidens , avec ordre d'examiner avec foin tous les vi- fages des Seigneurs de fa Cour , & de remarquer exactement les divers effets de joye ou de trifteffe que cette nouvelle produiroit fur eux. Ceftratagême luiréùfîit, tous ceux qui n'étoient pas affectionnés au gouvernement, fe trahirent eux- mêmes , éc Ifmaël s'en défit auffitôt après. Ce fut lui aufli , qui donna origine à cette guerre funefte que je vais décrire, en accordant une retraite dans tes Etats, contre la foi des traités , à un Sangiac des Chourdes, qui s'étoit révolté con- tre le Grand Seigneur. Ce fut une grande faute que fit le nouveau Roi , contre le fentiment de tous les grands de Per- fè, qui Jui confeilloient d'entretenir avec foin la paix avec Amurath. Avis faluraire, dont la plupart des auteurs ne .remportèrent que la mort pour récompenfe.
Une conduite fi fanguinaire Se fî infenfée fouleva toute la Cour. Calil-Chan , Emir Chan , & Piry-Mahamet ju- rèrent la perte du Tyran. Us mirent dans leurs intérêts le bâcha des Chourdes, & de concert avec Peria-Conco- na, ils s'en défirent au bout de fîx mois de régne. Quel- ques-uns prétendirent qu'il fut empoifonné par fà propre fœur. D'autres difent, qu'elle introduifit dans le Sérail les conjurés déguîfés en femmes , qui furprirent ce Prince cruel , & l'étranglèrent au milieu de (es plaiûïs. Cette révolution
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il HISTOIRE
! arriva le vingt- quatre de Novembre de Tannée précédente, Henri En même tems Peria-Concona afïembla tous les grands III. Seigneurs & les Bâchas , qui dans cette Cour portent le titre i jy 8, de Clians ou de Sultans , pour prendre de concert des réfo- lutions falutaires ^ &; elle les exhorta à mettre fur le trône celui qu'ils jugeroient le plus capable de loûtenir dignement la majefté de l'Empire, àc de rétablir la tranquillité dans l'Etat, en arrêtant le cours des divifions domeftiques. Il ne reftoit plus de la nombreufe poftérité du roi Thamas que Mu- hemet, furnommé Hoddbendes, c'eft-à-dire, ferrviteur ae Dieu. Mais il étoit fort éloigné delà capitale , &c à caufe de la foi- blefîe de fa vue &, de fon peu de goût pour les affaires, fon père Tavoit relégué à une des extrémités du royaume, dans la pro- vince d'Heri , dont il avoit le gouvernement. Hodabendes avoit plufîeurs fils, un aîné entr'autres, nommé Hameth,jeune Prince d'un génie grand & élevé , qui confeilla à fon père de foûtenir contre les Turcs la guerre à laquelle Ifmaèl avoit donné occafîon par fon imprudence , & qui y commanda l'armée Perfanne. Le premier de Sultans Mirize Salmas pen- foit à en faire fon gendre. Dans cette vue , il étoit d'avis , qu'on députât à fon père pour le prier de le leur envoyer. D'autres propofoient d'autres fils de Hodabendes , félon qu'ils efpéroient plus ou moins d'avoir part à la faveur & aux bienfaits du Prince qui feroit élu.
Il y avoit alors à la Cour un Seigneur nommé Emir-Chan , qui étoit fort avant dans les bonnes grâces de Peria-Con- cona. Cet homme , qui ne mettoit point de bornes à fon am- bition, au lieu de penfer comme les autres, à fe donner un maître , avec qui il pût efpérer de partager l'autorité fouve- raine , travailloit à fe l'approprier toute entière à lui-même. La Princefle , qui après avoir trempé {es mains dans le fang de deux de fes frères , foit pas haine , loit par la peur de quel- que funefbe retour , ne prenoit plus aucun intérêt à ce qui refloit de fa famille , appuyoit de tout fon pouvoir les préten- tions. Les circonftances même ne pouvoient être plus favo- rables à fes defîeins. Tout le monde étoit dans l'attente de quelque révolution. Les Perfans s'étoient dégoûtés de leurs anciens maîtres , & foit à caufe de Thorreur que leur avoient donnée les cruautés du dernier roi Ifmaèl , foie
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dans l'efpérance de tirer avantage des troubles de PEtat , ils ■■■«■m;
ne fouhaitoient rien tant que de voir parler l'Empire en d'au- Henri très mains. III.
Cependant Hodabendes informé par Mirize-Salmas des 1578. defTeins de Peria-Concona , s'avançoit à grandes journées Avénemenc vers Cafbin. Ce Prince étoit outré des attentats de la fœur , de Muhemec qui après avoir fait d'un de (es frères un Roi de théâtre , & ^couronne l'avoir conduit elle-même à fa perte par la complaifance dcPcrfe. qu'elle avoit eue malignement pour fes projets , non con- tente d'avoir porté le poignard dans le fein de l'autre , fon- geoit à faire pafïèr la Couronne fur la tête d'une famille étrangère. Aufîî ne voulut -il pas monter fur un trône qui étoit encore fouillé du fang de (es frères avant que de les avoir vengés. Ainfi il manda à Mirize,pour qui il avoit beaucoup de confiance, de faire arrêter la PrincefTe, delà facrifler aux mânes de (es frères , & de conferver fa tête juf- qu'à fon arrivée , afin qu'il pût repaître (es yeux & ceux de tous fes fujets , d'un fpe&acle fî agréable. Ses ordres furent exécutés , & Mirize étant allé le recevoir hors de la capitale , pour faire fa cour à ce Prince , lui préfenta au bout d'une lance cette tête à qui on avoit laillé les cheveux épars , afin d'infpirer plus d'horreur , Se qui par (es regards farouches fembloit même après la mort conferver encore quelque chofe d'effrayant.
Hodabendes fit fon entrée à Cafbin , & donna lieu d'a- bord d'efpérer qu'on jouiroit fous lui d'un régne paifible. Mais il fe livra trop à la paffion de fon Miniftre , & au lieu de fonger à rétablir la tranquillité publique , qui ne pouvoit être fondée que fur un entier oubli du paiTé , il eut l'impru- dence de vouloir pourfuivre la vengeance de (es frères. C'é- toit la plus grande faute que ce Prince pût faire à fon avè- nement à la Couronne. Par cette conduite , non-feulement il indifpofa contre lui plu fleurs de ces petits Seigneurs , qui étoient répandus dans les provinces ^ mais il les jetta même dans le déîefpoir , & les obligea de prendre parti ailleurs. En effet Sahamal, ce prince de Géorgie, qui étoit oncle de Peria- . Concona, n'eut pas plutôt appris la mort de cette malheu- reufe Princefîe , qu'il appréhenda qu'on ne vînt jufqu'à lui 5 & comme il ne croyoit pas avoir aucune grâce à efperer , il
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i4 HISTOIRE
■■ '. alla chercher un afile dans les montagnes. Il futfuivî au/Mtôt
Henri après par un autre prince Géorgien nommé Leventogli ,
1 1 1. dont je parlerai plus au long dans la fuite , 6c par leur retraite
i f 7 8. ou ^eiir Wte de la Cour , ils répandirent la terreur parmi les
peuples de la Médie Atropacienne , qui iont voiiins du Turc ,
& qui n'étoient pas trop attachés à la Perfè.
Hufreves ou Ûftreff bâcha de Van , place forte , fituée fur le lac Aclamar , 6c qui n'eft pas éloignée de Cafbin , avoit déjà informé Amurath de tout ce qui s'étoit pailè à la cour de Perfe, depuis la mort du roi Thamas. Amurath , qui ou- tre la paflîon qui femble être née avec tous les princes Otto- mans , d'étendre les bornes de leur Empire , s'y fentoit en- core porté par une inclination particulière , étoit très-atten- tif depuis Ion avènement à la Couronne, pour ïaiflr tous les événemens qui pourroient favorifer l'ardeur qu'il avoit pour la gloire. Auffi regarda- t'il ces mouvemens de Perfe comme une occafion que le ciel fembloit lui offrir d'attaquer le feul Empire qui pût lui faire ombrage. Il ne s'étoit foûtenu juf- qu'alors , que par l'union qui y avoit régné , 6c le Sultan s'imagina qu'il lui feroit aifé de profiter de ces troubles domef tiques pour le détruire entièrement , ou . du moins pour enlever les plus belles provinces , &; en aggrandir fes Etats. Origine de Un Prince ne manque jamais de prétexte , lorfqu'il a ré- la guene des £Qy je déclarer ja guerre à un ennemi. Du vivant de Selim
Turcs contre o r »
u Perfe. un certain Chourde nomme Abdala , gouverneur d un can- ton de la Chaldée , avoit eu ordre fur quelques foupçons de fe rendre à la Porte. Leunclavius prétend que ces Chourdes font les anciens Chaldéens, 6c que cette province qui porte fur nos Cartes le nom de Curdiltan , n'eft autre choie que la Chaldée. Cependant il eft fiir que la Chaldée eft fituée en deçà de l'Euphrate , au-defîous de Babylone , au lieu que ces peuples habitent ces provinces qui s'étendent au-delà de ce rleuve jufqu'aux frontières de l'Arménie , que Strabon dit avoir été le pais des Curtiens , des Cadufiens , des Tapires 6c . des Amardes , qui faifoient leur demeure dans des montagnes très -froides 6c très-efearpées. Je laifTe à ceux qui font cu- rieux de ces connoiiîànces 6c qui ont plus de loiiir, à examiner, ii nos Chourdes d'aujourd'hui ne font point les defeendans
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de ces anciens peuples , dont ils femblent encore retenir le —
nom. Henri
Il y a grande différence entre les gouverneurs de la Chai- III. dée, de Carahemid & de la Méfopotamie , ôc ceux des au- 1578. teurs provinces foumifes à la domination des princes Otto- mans. Dans tout le refte de la Turquie, c'en: la Porte qui nomme les Gouverneurs , & qui les révoque à Ton gré. Il en eft au contraire des Commandemens de ces frontières , com- me des Principautés de Valachie , & de Moldavie &; de Tran- fylvanie. Ce font des emplois héréditaires dans la famille de ces Chourdes ou Chaldéens. Ils parlent à leurs enfans , &: s'ils meurent fans laifier de poftérité , ce font leurs plus proches parens ou alliés qui leur fuccédent. Cependant ils font com- me tous les autres Gouverneurs fournis à l'empire abfolu du Grand Seigneur.
Abdaîa ayant donc été mandé à la Porte, fans pouvoir pénétrer la raifon pour laquelle on le faifoit venir , fe rendit à Andrinople où Selim étoit alors, 6c il n'y fut pas plutôt arri- vé, que le Capigi-Bachi reçut ordre de s'en afTiirer &de le mettre prifonnier. Le Chourde étoit bien accompagné. Ainfi pour l'arrêter plus fûrement , l'officier Turc crut devoir prendre le moment qu'il affifteroit à la prière publique , èc le rendit avec fa fuite à la Mofquée qu'Amurath II. a fait bâtir dans cette ville. Abdala fut furpris , lorfqu'il vit qu'on en vouloit à lui , mais il ne fut point déconcerté. Il fe mit en défenfe , & fè battant courageufement contre ceux qui vou- loient l'arrêter, il tua le Capigi-Bachi, ôc bleflà ou parla au fil de l'épée tous les Chiaous qui l'avoient fuivi. Après cela Selim irrité de fon audace lui fit couper la tête , fans vouloir l'entendre.
Abdala étant mort , fon neveu lui fuccéda. Cependant un autre , qui fe difoit parent du défunt , étant paffé à la Porte, gagna les Miniftres à force de prefens, ce qui n'en: pas rare dans cette Cour, &. obtint le gouvernement. AufTi- tôt on envoya ordre au Gouverneur de venir rendre raifon de fa conduite ^ mais il ne fe preflà pas d'obéir. Il fçavoic ce qu'il en avoit coûté à fon oncle pour avoir été trop fournis , &: il appréhenda que malgré fon innocence, Une fe vîtex- pofé au même danger. Ainfi comme il n'attendoit aucun
i* HISTOIRE
- ménagement de la part des Turcs, il alla fejetter entre les
Henri bras d'Ifmaël , qui régnoit alors. Ce Prince le reçut fort III. bien , & eut même l'imprudence de lui foire efpérer, qu'il 1578. Ie rétabliroit dans l'héritage de fes pères. D'un autre côté , on le redemanda à la Porte, comme un transfuge à qui on ne pouvoit donner aille , fans aller directement contre les trai- tés paffés entre les deux Nations , 6c furie refus que les Per- fans firent de le rendre , les hoftilités commencèrent de part &; d'autre par quelques courfes.
Une autre raifon qui porta les Turcs à déclarer la guerre aux Perfans , ce fut la haine invétérée qui eft entre ces deux Nations. Elle eft devenue fi outrée , que les Turcs 6c tous les autres peuples qui fuivent leur Se&e , foit en Tartarie ou en Afrique , conformément à la décifion de leur Mufti , tiennent pour confiant qu'il eft plus méritoire & plus agréable à Dieu de tuer un Perfan ou Azeme pour caufe de Religion , tout Mahométan qu'il eft , que de donner la mort à foixante 6c dix Chrétiens, quoiqu'ils fafTent profeffion d'une Religion tout- à-fait oppofée. Je fçai que quelques nouveaux Théo- logiens ont olè de nos jours foûtenir une opinion toute fem - blable , 6c qu'ils n'ont pas craint d'avancer , contre le fen- timent unanime de tous les Chrétiens , qu'il feroit plus avantageux pour la gloire de Dieu , que les princes Chré- tiens réunifient leurs armes pour faire la guerre aux héréti- ques qui font parmi nous , que pour exterminer les Mahomet tans. Or je laifTe à ces gens qui font chargés de la confeience des autres , à examiner eux-mêmes devant Dieu , fî de tels principes font bien conformes à la piété 6c à la charité Chré- tienne. En revanche les Perfans , fidèles obfervateurs de la doctrine d'Aly , quatrième fuccefTeur de Mahomet dont Haidar 6c Tzuneit père 6c ayeul d'Ifmaël Sophy , renouvel- lérent les dogmes , détellent toutes les autres ieâes Maho- métanes , brûlent leurs livres par-tout où ils les rencontrent, 6c pourfuivent cruellement tous ceux qui y font attachés.
Quelques-uns mettent encore les fonges de la partie , & comme ces peuples font afïèz fuperftitieux pour y ajouter beaucoup de foi , ils veulent qu'un rêve d'Amurath ait aufli contribué à ce grand événement. Ils prétendent que ce Prince s'imagina pendant fon fommeil , qu'il étoit au milieu
du
DE J. A. DE T HOU, Liv. LXVII. 17
du monde , fous un arbre fort grand qui portoic au loin deux — — — *^ de fes branches , donc l'une s'etendoit jufqu'aux extrémités Henri de l'Orient , 6c l'autre jufqu'aux provinces de l'Occident les III. plus éloignées 3 qu'il crut voirenluite un Serpent d'une gran- j ^78, deurprodigieufè , venu de l'Orient , qui fe rouloit à fes pieds , èc qu'il étrangloit de fes propres mains. Ils ajoutent, que le Sultan ayant confulté les do&eurs de la loi, pour apprendre quelle étoit l'interprétation de ce fonge 3 ils lui dirent, que le milieu du monde lignifîoit le fiége même de l'empire d'Amurath, c'eft-à-dire , Conftantinople 3 que ce grand ar- bre avec fes deux branches marquoit l'étendue de la do- mination des Sultans • enfin que par ce Serpent venu de l'O- rient , on devoit entendre le roi de Perfe , 6c que c'étoit à lui qu'il étoit réfervé de le vaincre, 6c de le tuer, pour joindre enfuite fes Etats à l'empire Ottoman.
Telle fut l'origine de cette guerre, où la fortune même fembla favorifer les defTeins du Grand Seigneur , par les mouvemens qui s'élevèrent en Perfe pendant ion régne , tan- dis qu'au contraire l'union & la concorde régnoient parmi les Turcs. Quatre ans s'étoient donc déjà écoulés depuis la conquête de l'iile de Chypre, 6claprife de laGoulette,que Selim avoit fait rafer 3 6c pendant tout ce tems-là l'empire Ottoman avoit joui d'une paix profonde. La trêve qu'on avoit faite avec le roi de Hongrie, car c'eft le feul titre que prenne l'Empereur lorfqu'il traite avec laPorte,duroit encore. Philippe IL roi d'Efpagne venoit d'en conclure une nouvelle de trois ans avec le Grand Seigneur. Dans ces circonflances Amurath n'eut pas befoin de délibérer long-tems avec fes miniltres, pourfçavoir de quel côté il tourneroit l'effort de fes armes.
En effet l'avis de Mehemet, grand Vifîr , & gendre de Se- lim , à qui fon grand âge, joint à une expérience confommée , donnoit beaucoup de crédit dans le Divan , fut , qu'il étoit beaucoup plus ailé de faire la guerre aux Perfans , qui n'ont gueres pour armes que l'arc & le fabre , chez qui les armes à feu ne font prefque point en ufàge , 6c dont toutes les places font fans défenfe, que contre les Latins, c'eft à-dire, les Chrétiens , que le fer 6c le feu environnent , 6c qui avec leur nombreufe artillerie feavent , ou défendre leurs villes , Tome VIII, C
i5 HISTOIRE
; lorfqu'on les attaque, ou foudroyer celles de leurs ennemis 3 ôc
Henri il ajouta , qu'on pouvoit fe promettre une victoire beaucoup
III. plus certaine des peuples de l'Aile, amollis par les délices
i f 78. d'une vie lâche 6c oifive, que des Européens, dont les corps
forts 6c robuftes font accoutumés à réfiiter au chaud,au froid,
6c à la faim.
Tel fut , dit-on , le fentiment de Mehemet. Cependant Leunclavius prétend au contraire , fur la foi de je ne fçai quel auteur , que ce Vifir difïuada le Grand Seigneur de déclarer la guerre à la Perfe 3 6c il rapporte , qu'après plufîeurs raifons dont il fe fervit pour l'en détourner , il cita ce fameux pro- verbe, qui eft fort en ufage chez les Grecs , èc parmi les Turcs:»Qu'il ne faut pas marcher fur la queue du Serpent qui » dort , de peur qu'en s'éveillant il ne lève la tête , 6c ne falfe « fentir fa morfure.
La guerre de Perfe fut doncréfoluë 3 mais il s'y prefentoit deuxobftaclesconfidérables } le premier étoit l'éloignement 6c la difficulté de faire paffer des troupes dans le païs ennemi par des chemins rudes , embarraiTés de bois 6c de montagnes , où il étoit aifé détendre des embufeades. Outre cela cette guerre demandoit beaucoup plus de dépenfe qu'aucune autre. En effet , Sinan Bâcha reprefentoit que pour conferver les con- quêtes qu'on feroit fur la Perfe , il faudroit élever des cita- delles, fortifier des villes, 6c y mettre des garnifons nom- breufes 3 6c il ajoûtoit , que la paye que le Grand Seigneur donne ordinairement aux troupes , n'étoitpas fuffifante pour fubvenir à tout cela 3 àc qu'on feroit obligé de faire aux foldats des gratifications extraordinaires, afin de les engager à fe ren- dre affidus aux travaux , à garder exactement leurs poftes , à défendre avec vigueur les places qui leur feroient confiées , &c à fupporter courageufement toutes les incommodités d'une guerre qui alloit les retenir long- tems éloignés de leur patrie.
Pour ce qui eft de la dépenfe , Amurath , qui trouvoit hs raifons de Sinan pleines de fageflè 6c de bon fens en fit fon affaire , 6c promit que l'argent ne manqueroit point pour cette expédition. Mais il n'étoit pas aufli aifé de lever le premier obftacle 3 6c les fentimens furent fort partagés à ce fujet. Les uns vouloient qu'on fit pafTer une armée en Perfe par Bagdat ,
DEJ. A. DE THOU, Liv. LXVII. 19
& que de-là on marchât droit à Syras, qu'on dit être l'ancien- r^^^m ne Perfépolis j 6c ils appuyoient leur avis, fur ce qu'il paroît Henri par l'hiftoire , que c'eft-là le chemin que prit Alexandre pour III. entrer dans ce pais. D'autres prétendoient au contraire , qu'il 1578. falloit commencer par s'aflïlrer de Tauris , &; fortifier cette grande ville, avec toutes les places des environs. Quelques- uns enfin propoférent un troifiéme avis qui fembloit appro- cher des autres. Ceux-ci croyoient que le parti le plus avan- tageux étoit de partager l'armée, & d'attaqueren même-tems l'ennemi des deux côtés , prétendant que par-là on l'oblige- roit de divifer Tes forces, & qu'on le mettroit ainfi hors d'é- tat de faire tête de côté , ni d'autre. Mais Amurath ne fut pas de cefcntiment 3 6c comme on ne pouvoit s'empêcher de faire paner l'armée par la Géorgie 6c l'Arménie , où elle devoit être jointe par les Tartares qui habitent au defïus du Pont aux environs de la mer Cafpienne , 6c fur lefquels on comptoit beaucoup pour cette guerre , il jugea qu'il ne feroit pas fur de s'engager dans une route fî dangéreufe 6c fi difficile avec des rorces partagées.
Les Miniftres prirent donc leurs arrangemens pour une marche fi longue , 6c remplie de tant de difficultés. Après cela on fut curieux deconnoîtreà qui le Grand Seigneur confieroic le foin de cette entreprife. En effet , il avoit déjà déclaré qu'il n'y commanderoit point en^perfonnej èc Sinan n'avoir •pu s'empêcher de faire paroître fonétonnement à cette occa- sion , parce qu'on ne voyoit point dans toute l'hiftoire de l'Empire, qu'aucun prince Ottoman fe fût jamais fervi de Lieutenant pour une guerre auffi confîdérable , èc nefefût pas rendu lui-même à la tête de fes armées. Mais Amurath avoit fes raifons pour ne pas être de cette expédition : il ap- portait pour prétexte lesbefoins de l'Empire , 6c il difoit que les affaires de l'Empire ne lui permettoient pas une abfence de fes Etats fi longue 6c fi dang-ereufc dans un tems où il étoit menacé du côté de l'Occident par tant de Princes puinans. Dans le fond quelques-uns croyent qu'une des raifons princi- pales qui l'empêchèrent de faire ce voyage, fut qu'il étoit lujet à certaines attaques d'épilépfie qui revenoient aftez fou- lent, 6c qu'il appréhenda que les fatigues de la guerre ne les rendiflent encore plus fréquentes 3 que cette incommodité ,
Cij
io HISTOIRE
- qu'il fçavoit cacher dans les murs de fon Sérail , ne devînt pn-
Henri blique au milieu d'un camp , 6c ne le rendît méprifable a tes
III. troupes. Ainfi il pafîà pour confiant , que le Sultan n'affifteroit
i 57 S. point en perfonne à cette guerre. Après cela il n'y eut aucun
des Grands de la Porte, que la faveur ou leur réputation ren-
doit les plus confîdérables auprès du Prince , qui ne briguât
un emploi de cette conféquence. Sinan, & Muftapha, qui ve-
noient de fe rendre fameux, le premier par la prife de la Gou^
lette , &: l'autre par la conquête de 1'ifle de Cliypre , fem-
bloient y avoir plus de droit que perfonne. Mais il ne parut
point alors qu'Amurath eût encore pris fa réfolution là-delTus.
Seulement on envoya ordre aux Bâchas d'Erzerum , de Van ,
6c de Bagdad , d'entrer fur les terres de Perfè , 6c d'y faire le
dégât.
Enfin cette année Muftapha fut déclaré général de l'ar- mée Ottomane. Il fortit de Conftantinople le 5. d'Avril, fuivi d'un grand cortège, qui l'accompagna pour lui faire honneur ^ 6c ayant paffé le détroit pour fe rendre à Scutari , il prit de-là fa route par Toccat 6c par Sivas , ( 1 ) 6c fe rendit au commencement d'Août à Erzerum , qu'on croit être l'an- cienne Simbra, dont parle Ptolomée, fi tuée fur les frontières de la Cappadoce 6c de l'Arménie , où étoit le rendez- vous de l'armée. Là il fit une revûë générale , félon la coutume ; & pour avoir un état ,. certain^ de toutes fes forces , il fépara les malades de ceux qui étoient en fanté ^ les troupes qui paroif- foientenbonétat, de celles qui étoient mal équippées j enfin les foldats d'une taille 6c d'un air avantageux , de ceux qu'on jugea d'une compléxion foible , 6c peu propre à fupporter les travaux de la guerre.
Les premiers qui fe prefentérent furent ceux de Mefopo- tamie ou Diarbequir , au nombre d'environ douze mille, n'ayant guéres pour armes que l'arc 6c le cimeterre j 6c Mufta- pha fit une vive réprimande au gouverneur de cette province, de ce qu'il avoit amené fi peu de troupes. Us étoient fuivis de quatorze mille AfTyriens 6c Chaldéens peuples habitans furies bords de l'Euphrate 6c duTigre.(2)Ilss'étoient afîèm- blés àBalfara, armés de la même manière. Enfuite marchoient
( 1 ) Ce font les anciennes villes d'Amafie, & de Sébafle,
(2) Ces deux fleuves s'appellent au- jourd'hui le Frat & le Tegil.
DE J. A. DE THOU, L i v. LXVII. n
deux mille Syriens ouSoriens, habillés, plutôt qu'armés , !
magnifiquement j aufïï cette nation ne Te bat - elle que par Henri efcarmouches , & en efcadronnant. On voyoit paroîtrc après III. eux en bel équipage douze mille hommes levés à Ma- 1578. gnefie ou Manifla dans la Bithynie ou le Befangial ^ à An- cyra ou Angori -y dans la Lydie ou Carafie ; dans la Phrygie & le Pont provinces de l'A fie mineure, qu'on nomme aujour- d'hui l'Anatolie. On avoit joint avec eux mille enfans perdus de ces peuples de Judée de de la Palefkine , que leur pauvreté force à vivre de brigandage , de quatre mille Caramans , na- tion barbare de l'ancinne Cilicie , accoutumée au vol , de ne refpirant que le fang. Les troupes delaMorée, de la Grèce, de la Macédoine , de de laThrace , qui faifoient la principale force de cette armée, formoient enfuite un corps féparé, compofé de dix mille hommes , tous bons arquebufiers. On compta aufll trois mille JanniiTaires.EnfinBeyran Bâcha d'Er- zerum avoit amené au camp quatre mille hommes levés dans la Cappadoce de l'Arménie, tous gens aguerris par les courfes continuelles qu'ils faifoient dans le païs ennemi. Toutes ces troupes étoient à la folde du Grand Seigneur. Pour ce qui eiî des avanturiers , ou volontaires, ils étoient encore en aufîî grand nombre. On ne tira cette année aucunes troupes de la côte de Barbarie , de la Hongrie, de l'Egypte, ni de l'Arabie heureufe, maintenant nommée l'Hyemen, de on réferva pour quelque occafion plus confidérable lcsjanniiïàires,qui eurent ordre de refter en garnifon à Damas.
Cette grande armée étoit fuivie de cinq cens pièces de cam- pagne , que Muitapba deflinoit à mettre dans les places qu'on jugeroit à propos de fortifier. Il avoit auffi apporté beaucoup d'argent ^ de le Grand Seigneur lui avoit outre cela permis de prendre les revenus d'Alep,& des autres villes frontières , pour fubvenir aux frais delà guerre. Le général Turc avoit encore penfé à pourvoir fes troupes de vivres. Toute la fron- tière avoit eu ordre d'apporter au camp la dîme des denrées qu'on y recueilloit , & d'y amener des chameaux pour porter les provisions & le bagage. On avoit levé de toutes parts grand nombre de pionniers de de mineurs. Enfin on avoit embarqué beaucoup de bled à Conftantinople ïur la flote Turque , com- mandée par Ulucciali, qui prit la route par la mer Noire , de
2* HISTOIRE
■l_ - ■? vint aborder à Trébifonde, place éloignée feulement d'Erze-
Henri rum de quatre journées de chemin.
III. Après avoir ainfi fait tous Ces préparatifs , le général Turc
i 57 S. partit à la tête de fon armée, & en huit jours de marche il Emrée <ks arriva a Chars , place qui avoit été détruite , conformément
des Turcs en à un des articles du dernier traité de paix fait avec Soliman , & où il trouva des provifîons en abondance. Là les Turcs furent furpris d'une pluie violente mêlée d'un ouragan fu- rieux , qui renverfoit toutes les tentes , & qui les incom- moda considérablement. Ainfi ils furent obligés de refter trois jours dans cet endroit , où ils eurent beaucoup à fouffrir, &; où ils laiilerent erand nombre de malades. Ils en décam- pérent , 6c fe difpofèrent à palier les montagnes de Chielder. Muftapha , pour éviter toute furprife , avoit tellement arran- gé l'ordre de fa marche , qu'il étoit au centre dans la plaine, tandis que le Bâcha d'Erzerum , &Dervis Bâcha de Carahe- mid dans la Méfopotamie, où le Diarbekir s'avançoient par les montagnes -y le premier à droit , & l'autre à gauche. Ils étoient foûtenus par les bâchas Ofman, Mahamet, Muftapha, & par les commandans des Avanturiers , 6c les chefs des trou- pes que les Tributaires du Grand Seigneur font obligés de lui fournir.Cette avant-garde formoitune efpéce decroiflànt qui couvroit le corps de bataille , & qui étoit comme enfenti- neile pour découvrir de loin l'arrivée des ennemis.
D'un autre côté , tandis que les Turcs fe difpofoient à en- trer en Perlé, Hodabendes qui étoit informé de tous leurs deflèins , fe voyant dans la néceffité de foûtenir une guerre que l'imprudence de fon frère lui avoit attirée , crut qu'il de- voit feindre avec la Porte , afin d'avoir le tems de le mieux préparer. Ce Prince venoit à peine de monter fur le trône y Se il avoit trouvé à fon avènement à la couronne les affaires fort dérangées par la conduite barbare du dernier roi Ifmaël. L'imprudence qu'il avoit eue lui-même d'abord , de fe livrer aux confeils de fon premier Miniftre , n'avoit pas contribué à rétablir la tranquillité dans fon royaume. Dans ces circon- ftances il jugea qu'il étoit à propos de fe conduire avec une grande apparence de modération. Il parut être mortifié de ce qui s'étoit paiTé j & comme fi fon intention eut été de réta- blir l'union entre les deux nations, il envoya une ambaflàde
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVI'I. 25
au Grand Seigneur , moins dans l'efpérance d'arrêter les pro- jets qu'il méditoit , que pour gagner du tems. En effet foit Henri qu'Amurath fût entêté des promettes magnifiques que tes III. Dodeurs lui avoient faites au fujet de fon fonge ; foit qu'il ne r , -g pût digérer le refus du roi de Perlé, de lui remettre le Chour-- de, qui s'étoit retiré dans fcs Etats, il voulut à peine donner audienceà ces AmbafTadeurs, & les renvoya fièrement avec menaces.
Cependant Hodabendes penfa à mettre dans fes intérêts les princes de Géorgie, dont il étoit important de s'afTurer , parce que c'étoitpar leurs terres que l'armée Turque devoit parler pour entrer en Perfe. Il leur écrivit 5 il leur députa même , pour les exhorter à ne pas abandonner la défenfe d'une Couronne dont ils étoient feudataires. Il fît aufli parler à Sahamal , ôc à Leventogli par quelques Seigneurs de leurs amis , qui travaillèrent à difliper les foupçons que le pafTé avoit pu donner à ces Princes. Outre cela il traita avec l'em- pereur des Tartares , le plus puiffant Prince de cette nation , qu'on appelle communément le Kitai , & il l'engagea à fe joindre à lui pour faire la guerre au Grand Seigneur. Il prie pour cela le moment que les Tartares étoient mécontens d'A- murath , foit que la trop grande puiflance du Sultan leur fît ombrage ; foit qu'ils crufïent avoir quelques raifons particu- lières de fe plaindre de lui : car du refte les Tartares <k les Perfans avoient jufqu'alors été toujours ennemis 5 de quoique ces deux peuples faffent également profefîion de la Religion Mahometane ^ ils différent cependant en plufîeurs points, Enfin le roi de Perfe attira même dans fon parti plufîeurs Sei- gneurs Turcs , gens de crédit de d'autorité , qui ne penfoienc pas comme le refte de la nation Ottomane au fujet de la Reli- gion , de qui avoient quelque penchant à embraflèr la fecte des Sophys.
Les circonftances ne permettoient guéres à Hodabendes de prendre d'autres mefures. Après cela ce Prince envoya ordre aux Gouverneurs des provinces d'afîembler leurs trou- pes , de de fe rendre inceffamment auprès de lui. Ils firent d'abord quelque difficulté. Cependant la vûë du danger qui les menaçoit tous également j l'ennemi , qui étoit à leurs por- tes 3 un peu de compafïïon pour le nouveau Roi , & pour l'état
24 HISTOIRE
; déplorable où l'Empire alloit être réduit , tout cela les tou-
Henri cha enfin. Ils obéirent, èc amenèrent vingt mille hommes III. tous bien armés. Hodabendes mit «à leur tête Tocmafes Sul- 1578. tan Chan , 6c gouverneur d'Arménie, capitaine expérimenté , qui avoit donné des preuves de fon habileté au maniement des affaires dans plu/leurs ambafïades dont il avoit été chargé à la Porte -, 6c il eut ordre de marcher fur le champ vers la frontière.
Ce général prit là route par Tauris & par Genge ; 6c il ar- riva à Chars peu de tems après que l'armée Ottomane, qui avoit efluyé cet orage furieux dont j'ai parlé, avoit quitté ce poftepour s'avancer vers les montagnes de Chielder. De-là il continua fa marche. Cependant les coureurs qu'il avoit envoyés devant pour reconnoîsre l'ennemi, ayant apperçû. les Bâchas d'Erzerum 6c de Carahemid,qui campoient fur les montagnes oppofées avec afTez peu de troupes , &: ne pouvant voir le gros de leur armée , qui étoit dans la plaine couvert par les collines , revinrent à toutes jambes donner avis à Toc- mafes , qu'ils avojent découvert quelques avant-coureurs de l'armée Turque qu'il feroit aifé de défaire ^ pourvu qu'on ne tardât pas aies attaquer, b t de ^e ^aux raPPort ^e ces coureurs,que l'apparence avoit trom- chicider en- pés , fit donner leur général dans le piège -y il marcha aux tre les Turcs ennemis s qui de leur côté ayant découvert de loin les troupes du roi de Perfe, defcendoient de leurs montagnes pour les at- taquer 3 6c ils en vinrent aux mains plutôt que Muftapha ne l'avoit efpéré. Le deiïein de ce général étoit de cacher fa marche , 6c de ne fe montrer que lorfque fon avant-garde au- roit commencé à rompre les Perfans , pour tomber alors fur eux, 6c achever de les mettre en défordre. Dans cette vue il fit faire alte au corps de bataille, £c ferra les rangs : mais il fe paffa bien du tems avant qu'il pût fe remettre en mouvement • 6c les ennemis en profitèrent , pour tailler en pièces fes trou- pes avancées , avant qu'il fût à portée de leur donner du fecours.
En effet, le combat avoit déjà duré depuis midi, pendant trois heures entières, lorfque Muftapha parut enfin avec le gros de l'armée Ottomane. Alors Tocmafes fentit tout le pé- ril où il s'étoit engagé. Mais il n'étoit plus tems d'y apporter
remède ,
DE ). A. DE THOU, Liv. LXVÏI. 15
teméde , Se il étoit trop avancé pour reculer. Ainfî il prit le ■■■■"■—- feul parti qui lui reliât , ce fut de faire tête à l'orage. Il rallia Henri: fes troupes du mieux qu'il put, foûtint bravement jufqu'au III. foir tout l'effort de cette grande armée , Se fit fa retraite à la 1578, faveur de la nuit, laiilant fur la place cinq mille morts, Se deux mille prifonniers. Muftapha defoncôténe jugea pas à propos de le pourfuivre dans les ténèbres. Il avoit eu dans cette a&ion quinze mille hommes de tués , parmi lefquels on comptoit fept gouverneurs de province. Mais quelque cha- grin qu'il rellentît de ià défaite, il n'en témoigna rien. Au contraire il informa Amurath d'une manière avantageufe du fuccès de cette journée 3 Se pour diminuer l'idée qu'on auroit pu avoir de la perte qu'il avoit faite aux dépens de fon enne- mi, il imagina un ftratagême inoiii & barbare. Les Turcs ayant fuivant leur coutume coupé la tête à ces cinq mille hommes qui étoient reftés fur le champ de bataille , ce Gé- néral fe les fit apporter le lendemain. Enfuite après qu'on fe fut afïuré à leur teint Se à leurs mouftaches , que* c'étoient véritablement des têtes de Perfans, il commanda qu'on amenât devant lui tous les prifonniers , qui furent lur le champ égorgés par fes ordres , Se de toutes ces têtes rangées les unes fur les autres, il fit élever une tour dans la plaine, pour être un monument de la vidoirefanglante qu'il avoit rem- portée fur les ennemis , Se fervir à répandre la terreur de fou nom dans tous les environs.
Florus rapporte un événement à peu près femblable , ar- rivé en Efpagne , Se qui fit horreur aux Barbares mêmes. Il dit , qu'après cette fanglante bataille que Jule Cefar gagna à Monda contre le parti de Pompée, les malheureux reffces de cette défaite s'étant jettes dans cette ville , ce Général alla aufïïtôt les y afliéger, Se qu'il ne voulut fè fervir pour tout retranchement , que des cadavres de ceux qui avoient péri dans cette a&ion , que les dars Se les javelots tenoient attachés enfemble , Se dont ilsformoientune efpéce de rem- part. Spedacle hideux, inventé par ce Dictateur pour jetter la terreur parmi fes ennemis , Se à qui la nécefîité de faire le iiége de cette place peut en quelque forte fervir d'exeufe.
Cependant les couriers de Tocmafes avoient déjà porté à Cafbin la nouvelle du dernier combat , Se avoient inflrjaic
Tome V1IJ% D
16 HISTOIRE
■ le roi de Perfe des forces & des deflèins du Turc. En même
Henri rems ce Général demandoic qu'on lui envoyât du fecours.
III. Hodabendes ne fut pas fore affligé du fuccès de cette bataiL
jrng# le. Il penfa feulement à en prévenir inceflamment les fuites ,
& il travailla fans relâche à lever de nouvelles troupes.
D'un autre côté , tandis que Muftapha fongeoit à faire exécuter le projet plein d'horreur qu'il avoit formé , des Députés vinrent l'informer de l'arrivée prochaine de Mauc- chiar. C'étoit un des fils d'une veuve princefïe de Géorgie, nommée Dedefmit. Cette nouvelle parut faire un plaifir in- fini au Bâcha. Il ordonna auffitôt à tous les grands Officiers de fon armée d'aller recevoir le Prince à la tête du camp , où il entra au bruit des-tymbales , des trompettes , êc du canon. De là , il fut conduit en cérémonie à latente du Général, après qu'on lui eut donné à deffein le funefte fpeclacle de ces têtes arrangées. Le prince Géorgien comprit à cette vue ce qu'on vouloit lui faire entendre. Après les premiers compli- mens , pour faire fa cour au général Turc , il lui demanda des nouvelles du dernier combat , &: voulut bien paroître per- iuadé de la relation qu'il lui en donna. Enfuite il lui fît offre de fes fervices , &: lui marqua qu'il contribueroit volontiers de tout {on pouvoir au fuccès de cette guerre. Muftapha reçut anez froidement les avances du Prince étranger 3 ic fe tournant fièrement vers fon camp , & du côté de ce monu- ment barbare, qu'il avoit fait élever pour fervir de preuve de fa victoire prétendue : » Tout ce que vous voyez ( dit-il 5 33 en lui montrant l'armée Turque fous les armes ) font au- 33 tant de prefens dont la main libérale du Tout-puilîànt a> 33 gratifié avec profufion les princes de la famille Ottomane , 33 pour en faire les maîtres du monde , & les rendre l'objet de 53 fon admiration & de fon étonnement. Vous avez pris certaL 33 nement le parti le plus fage, en venant reconnoître l'empire 33 d'un auiîi puiMant Prince que celui que je fers 3 il feroit feu- 33 lement à fouhaiter, que vous n'euffiez pas tardé fî long- 33 tems à lui rendre ces juftes hommages. J'accepte avec joye 33 l'offre que vous me faites de partager avec moi les travaux 33 de cette guerre. Soyez le bien venu , èc comptez que vous 33 trouverez réciproquement dans moi tout ce que vous pou- n vez attendre d'un véritable ami. h Après avoir tenu ce
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difcours , Se reçu le prefent du jeune Prince , il lui fit donner le ! 1 lm prefent ordinaire confirmant en un habit de brocard d'or, Henri avec une lance 6c un bouclier très-bien travaillés 6c fort ma- III. gnifiques • Se il mit auprès de lui quelques-uns de Tes gardes 1^78. pour avoir Pceil fur fa perfonne , Se veiller fur toutes tes dé- marches.
Avant que d'aller plus loin , je crois qu'il eft. à propos que je donne ici au Ledeur quelque connoifîance de ces princes de la Géorgie, 6e des provinces qu'ils polTédent, auffi-bien que de l'Arménie & de la Médie , qui font voifines de leurs Etats , puifque ces païs furent le théâtre des principaux événemens de cette guerre.
Les Géorgiens habitent aujourd'hui l'ancienne Iberie. C'en: un païs où il a beaucoup de bois 6e de montagnes , qui renferment auffi plufieurs plaines. Il confine du côté de l'Oc- cident à la Colchide , aujourd'hui la Mingrelie j du côté du Midi , à l'Arménie ouTurcomanie , dont une partie appar- tient auffi aux Souverains de cet Etat 3 du côté d'Orient , à la Médie Atropatie ou mineure , que nous appelions le Schir^ van 5 6e du côté du Nord , à l'ancienne Albanie , qui porte aujourd'hui le nom de Zuirie. On y trouve en abondance toutes fortes de grains 6e de fruits , de la foye , des bêtes fau- ves 6c des faucons en quantité.
La Géorgie eft arrofée par plufieurs fleuves , dont quel- Defcrîptioo ques-uns font fort grands. Le principal efl l'Araxe , qui <*c la Géorgie. fort du mont Taurus , Se courant vers l'Orient , pafTe à To- menis. Enfuite tournant au Nord, 6c à l'Occident, il va recevoir le fleuve Chiur ou Ser , qui prend lui-même fa four- ce du côté du Septentrion dans le mont Taurus , Se qui coule dans la plaine, où. plufieurs petites rivières vont s'y jetter, J'Alazon , le Sandobane , le Rethace 6c le Chane. Dans ce coude que fait l'Araxe ^ il fait une prefqu'ifle de Sechi , dans la campagne d'Erex. Cette ville , fuivant la defeription que Strabon nous en donne, eft peut-être l'ancienne Artaxate ; cependant ce Géographe place auffi dans ce même endroit la ville de Seumara. De là l'Araxe coule à quelques lieues de la ville d'Erivan fameufe dans la guerre dont nous par- lons , 6c fe répandant enfuite dans la plaine de Calderan , célèbre par la bataille qui fe donna dans ce lieu entre le Sultan
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iS HISTOIRE
! ■ Selim & le Sophi Ifmaèl , il va fe jetter dans la mer Cafpienne;
Henri Ce fleuve reçoit aufll dans fa courfe , au-defTus de la riche IIL ville d'Eres, le Canach que Leunclavius appelle Ares, ou 1578. Cara-fu, c'efl- à-dire , la rivière noire. Strabon écrit au livre onzième de fa Géographie , que ce fut par cette peninfule que forment dans leur jonction le Kur &: l'Araxe ( car c'eft ainfl qu'on doit lire dans cet endroit, & non pas l'Arage) que le Grand Pompée, & après lui Canidius B afïu s , entrèrent de l'Arménie dans l'Iberie.
Au refte tous ces fleuves prennent leur fource dans le montTaurus. Cette chaîne de montagnes , à qui les Géo- graphes ont donné ce nom , eft allez peu de chofe dans la Carie & la Lycie. Elle commence d'abord à s'élever fur les côtes de la Pamphylie, àprefent Sarmanie , proche du cap de Chelidonie , êc traverfe ainfî toute la Cilicie. De là elle le fépare en deux branches , dont celle qui eft à droite s'ap- pelle le mont Amanus ou de Scanderona, & courant au Sud- Eft , elle s'étend fans interruption jufqu'à l'Euphrate. Au delà de ce fleuve, elle prend le nom de monts Gordiens, &; enfuite celui de mont Mafius,au-defïus de Nifibe ou Nifbin , & de Tigranocerte ou Sultania j là elle commence à devenir beaucoup plus haute. C'efl alors le Niphates, qui dans fon étendue fépare la Médie de la Chaldée , fous le nom de mont Zagrius. On trouve enfuite au-deiîus de la Chaldée les montagnes de la haute Perle , dite Elymaïs , avec celles des Parœtaceniens ou du Turqueflan , & celles des CofTéens au-deflus de la Médie.
C'eft dans le mont Niphates que le trouve la fource du Tigre , allez peu éloignée de celle de l'Euphrate , puifque Strabon ne compte que deux milie cinq cens ftades de dif- tance entre l'une & l'autre. Mais ces deux fleuves s'éloignent beaucoup dans la fuite. L'Euphrate s'étendant fort au loin , arrofe dans fa courfe irréguliere des pais immenfes. Au con- traire le cours du Tigre eft droit &; rapide. Enfuite il fê perd fous terre & difparoît pendant un allez long efpace de temsi Enfin on le voit renaître fort loin delà toujours le même, & le réunifiant delà à l'Euphrate au- defîous de Sereful, ils cou- lent enfemble le long de la Méfopotamie , & vont fe jetcer dans le golphe Perflque,
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La partie du mont Taurus qui eft à gauche, s*étend vers ' ' le Septentrion fous le nom d'Ankaurus , fépare l'Arménie de Henri la Cappadoce et de la Comagene , & Te divife encore elle- 1 1 L même en plufieurs branches au-delà de l'Euphrate, tirant 1 5.7 S, vers le Nord. Ici c'eft le mont Poliarrès ou Poliadrès , &c Cydisès à l'Occident. Là , ce font les monts Mofchiques s dans un autre, elle porte le nom de monts Tîbareniens, & for- me ainfî une longue chaîne jufqu'au Caucafe. D'autres mon-» tagnes, qui font auffi partie du mont Taurus, s'élèvent du côté de l'Orient ôc environnent tout ce païs qui eft depuis la mer Cafpienne jufqu'à la Médie. Le mont Parachoater en eft encore une branche , èc va jufqu'aux portes Cafpies , s'éten- dant au loin du côté de l'Orient vers la province d'Elire. Ainfi la Médie Se l'Arménie fe trouvent renfermées au milieu du mont Taurus , &: ce païs tout chargé de montagnes efcar- pées , entrecoupées feulement par quelques vallons , qui fur- tout du côté du midi, où l'Araxe fe précipite au travers de ces défèrts , font remplis de torrens &: couverts de forêts im- praticables , eft habité par un nombre infini de peuples difre- rens , qui dès le tems de Strabon ne fubfiftoient que de bri- gandages.
Il y a deux grands lacs dans l'Arménie, le lac de Van dont j'ai parlé, qui eft prefqu'auiTi grand que la mer de Za> bâche , &: qui s'étend jufqu'à la Médie mineure j on y re- cueille du fel j & Je lac appelle par les anciens Thomitis ou Arzen , qui conferve encore aujourd'hui ce nom. Les eaux de celui-ci font remplies de nitre , 6c plus propres que tout l'art des dégraifTeurs à ôter les taches qui fe rencontrent fur les étoffes. Aufîi ne font-elles pas bonnes à boire. Le Tigre parle au travers avec rapidité fans s'y mêler. Il femble que Thomas Minadoi de Rovigo, le feul Auteur qui nous ait don- né l'hiftoire de cette guerre , tout exacl: qu'il eft , fe foit trom- pé au fujet de ce lac , èc qu'il l'ait confondu avec celui que Strabon appelle le lac Spanta , quoique ce Géographe place cependant ce dernier dans la Médie Atropatienne ou le Sir- van, & le diftingue expreflement de ces deux lacs, dont je viens de parler , en marquant leur fîtuation dans l'Arménie. Pour moi, je ferois fort porté à croire , que le lac Spanta eft le même que celui qui eft marqué dans la carte qu'on a mife
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à ia tête de i'ouvrage de Minadoi , fous le nom de lac Giol, Henri fïtué au Nord de Lori.
III. C'étoit au milieu de ces barrières élevées par la nature
i j y g . elle-même pour fermer l'entrée de ces vaftes Etats i que Dieu fembloit par fa providence avoir mis à couvert quelque refte de ChrifHanifme au milieu de l'impie Mahométifme, qui s'étoit répandu de tous les côtés. Les peuples qui les habi- tent,devenus inacceflibles par la fîtuation de leur païs, avoienc aufîi été regardés pendant long-tems comme invincibles , tant que l'union avoit duré parmi eux. L'avarice 6c l'ambi- tion furent la fource de leur perte. Les petits Rois & les Na- tions de ces contrées qui faifoient profeflion du rit Grec , commencèrent à fe trouver trop relTerrés dans ces bornes, qui leur paroiflbient étroites , 6c voulurent chercher au de- hors ce qu'ils pouvoient rencontrer dans leur patrie. La Perfe étalloit àfes yeux fes richefles 6c fa magnificence. C'é- toit de ce côté-là qu'ils fe voyoient le plus expofés, Tauris alors la capitale de ce grand Empire , étoit à leurs portes. Ce fut par-là qu'ils commencèrent à fe laifler entamer. Ils firent d'abord alliance avec les monarques Perfans, ils fe mirent à leur fervice , 6c l'or de la Perfe répandit jnfenfiblement parmi eux lepoifon du Mahométifme. Ce fut pour eux la pomme de difcorde. Les troubles domeftiques qu'on vit naître de cette malheureufe divifion attirèrent les Perfans dans leur païs j 6c cette Nation ne fe trouvant pas dans la fuite en état de faire tête aux Turcs , abandonna ces belles provinces en proye à ces fiers Ottomans.
Les Princes qui régnoient en Géorgie , Se dans cette par- tie de l'Arménie qui étoit occupée par des Chrétiens, étoient alors Dedefmit , cette vieille PrincefTe veuve qui avoit deux fils Maucchiar 6c Alexandre ; David èc Simon , fils de Lavaf- fap j Alexandre furnommé le Grand , fils de Leventogli • Jo» feph fils de Gori ; Sahamal dont je viens de parler , oncle de Peria-Concona6cdu prince Haider ; 6c BafTacchiuc.
Sahamal pofTédoit cette partie de la Géorgie appellée le Carthuel , qui confine au Sirvan , en tirant vers l'Albanie ou Zuine ce qui y avoit Perfans,
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Les Etats de Jofeph fils de Gori étoient dans l'ancienne Iberie , qu'on nomme à prefent le Caket , ayant pour bornes Henri à l'Orient la ville de Derbent , & à l'Occident le lac d'Eflec- III. chia. Ce Prince réduit aux dernières extrémités par Ofman, 1578. renonça enfin à la religion Chrétienne, & embrailà le Mako- metifme.
Les Etats de la princefïè Dedefmit avoient plus d'étendue que ceux de tous ces Princes. Ils étoicnt bornés à l'Occident par la ville de Chars , & à l'Orient par ceux des princes Da- vid & Simon. Cette PrincefTe après avoir envoyé Maucchiar l'un de Tes fils en otage à Mufrapha , avoit remis le gouver- nement entre les mains de l'aîné nommé Alexandre. Mais il fut dans la fuite indignement détrôné par ion frére,queles Turcs appuyèrent dans cette entreprife. Le lieu de la réfî- dencede ces Princes étoit Altun-Chala, c'eil-à-dire , Châ- teau d'or , place forte par fa fituation , environnée de toutes parts de forêts impraticables , & fituée au pied du mont Pe~ riardo du côté de Chars & de Tiflis.
De-là en tirant à l'Eft du côté de l'Arménie , on trouvoic le royaume de Lavaflap , qui étoit auffi fort étendu. Ce Prince avoit nommé en mourant Simon , l'aîné de fes fils pour lui fîiccéder j mais David fon cadet ne lui permit pas d'être long- tems tranquille fur le trône. Il fe mit à la tête d'une troupe de brigands, & donna tant d'affaires au nouveau Roi , qu'il fut obligé d'implorer le fecours de fes voifins. Thamas régnoic alors en Perfe. Ce fut à lui que Simon s'adrefla • &; ce Prince n'eut garde de manquer une fi belle occafion d'unir à fa cou- ronne un Etat fi confidérable, ou de pouvoir du moins en difpofer à fon gré. Il fit au fiitôt entrer des troupes en Armé- nie , &il mit à la tête un Seigneur de confiance , avec des or- dres fecrets de s'afiTirer de David , de lui propofer de fe faire Mahometan , de le faire palier à la Cour , au cas qu'il refufât d'y fouferire , & s'il acceptoit le parti , de le mettre en poflef- fion de tous les Etats du Roi lbn frère. Cependant il étok chargé de faire auparavant les mêmes proportions à Simon , 6c de lui promettre au nom de Thamas , ou Tecmafes , qu'il le rendroit paifible poflefleur du royaume de fes ancêtres, à condition qu'il le tiendroit à foi éc hommage des Rois de Perfe, & qu'il embraflèroit le Mahometifme, s'engageant
j* HISTOIRE
!5= pour plus grande fureté à lui remettre entre les mains David Henri lui-môme , qui oioit lui contefter fon droit. Le général Per- I 1 1. fan exécuta les ordres du Roi avec la dernière exactitude. Il £ fe rendit maître de David , qui fans balancer accorda auffitôt tout ce qu'on voulut. Simon au contraire refufa conftamment d'y entendre ; il préféra courageufement fon falut éternel au trône, & à tous les avantages temporels qui font ordinairement l'objet de la cupidité des hommes -y et il fut relégué dans la fbrtereffe de Cahaca , où il fè confola avec le Prince Ifmaêl, fils de Tecmafes , de la dure captivité ou on le retenoit , par l'étude dçs fciences , &. fur-tout de la Philofophie , qu'il avoit toujours fort cultivée. Pour David, après qu'il eut renoncé à la foi, on le circoncit, fui vant l'ufage obferyé chez les Ma- hometans • & il fut fait Chan de Tiflis. Les principales villes de ce royaume fontTifhsJieu de laréfidence des Rois de cette partie de la Géorgie , qui y ont aufli leurs tombeaux 5 Lori y Çheres , &t Chiurgi-.cala , ou la ville de Cyrus , avec quelques autres petites places. .
En s'éloignant de la grande route , &: tirant vers le Nord , au defTus du lac d'EfTecchia , on trouve la ville de Baflàcchiue, qui donne fon nom au Prince de ce petit Etat. La fîtuation avantageufe de fon pais , qui n'efr, rempli que de montagnes & de déferts , le rendit fimple fpeclateur de cette guerre -y &; il ne fut point expofé à en efluyer les malheurs. Mais il n'en au- roit pas été quitte à fi bon marché , fi les Tartares euflent tenu aux Turcs la promeffe , qu'ils leur avoient faite , parce qu'ils n'auroient pas manqué de pafler par cette contrée pour entrer en Medie et en Arménie.
On trouve encore en Arménie la principauté d'Alexandre, fils de Leventogli, et frère du Prince IfTe. Elle eft fituée entre Tiflis &: Erivan j àt par-là elle eft également expofée aux en- prifes desTurcs et des Perfans, Ceux-ci avoient d'abord tenté de l'enlever à ce Prince , en tenant envers lui la même con- duite dont ils avoient ufé à l'égard de Simon. Dans cette vue ilsfoulevérent contre lui IfTe fon frère, qui avoit embraffé leur Religion. Mais leur artifice ne réùfht point. Alexandre défendit courageufement fes droits ^ & voyant que les Turcs devenoient fort puiflans de ce côté-là, comme il étoit très- ikhe , il acheta la paix des miniftres de la Porte à force de
prefens j
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. J.f
prefens , & confervafon Etat enfe foumettant au Grand Sei- gneur. Depuis ce tems-là ce Prince, qui avoic été fort attaché H e n m à la Perfe , ne pritplus d'autre parti que celui de Te ranger du III. côté du plus fort. Sa rélîdence eft à Zaghen fur le Canach , 1578. qui , comme je l'ai dit , vafe jetter dansl'Araxe au deflus de la ville d'Eres.
Tel eft donc aujourd'hui l'état de la Géorgie. Or comme il falloit nécelîàirement palier par ce païs pour arriver à Tau- ris, où l'armée Ottomane avoit deiïein de fè rendre, foit qu'elle prît fa route par le Nord , foit qu'elle voulût entrer du côté de l'Occident, il étoit également important aux Turcs &: aux Perfans , de mettre les princes Géorgiens dans leurs intérêts.
En fortant de la Géorgie on entre dans le Schirvan. Ce païs qui fait aujourd'hui une des provinces de la Perfe, fut conquis par Haider Sophy, & Ifmaél, qui l'enlevèrent au Prince légitime. Sa capitale eft Scamachie , fîtuée fur la mer Cafpienne , entre la ville de Derbent , au liège de laquelle le roi Haider fut tué , ôc celle d'Eres , célèbre par fes manufac- tures de foie. Strabon croit que c'eft l'ancienne Symbace,&: il rapporte que les Arméniens s'en étant rendus maîtres, les habitans les en chalTérenc avec l'aide des Romains , qu'ils ap~ pellérent à leur fecours.
Après le Schirvan ou la Medie mineure on trouve la Me- die propre , ou majeure, dont la capitale eft Tauris , où les rois de Perfe tenoient il n'y a pas long-tems le liège de leur empire $ elle eft fituée au pied du mont Oronte , qui eft une branche du mont Taurus. Au refte Minadoi , qui d'ailleurs eft allez peu exa & dans la recherche de ces noms anciens, qu'il confond fouvent , démontre fort bien que cette ville eft la fameufe Ecbatane. Cependant Leunclavius croit ce fait af- fez incertain , & il apporte , pour en douter , l'autorité de Hayton , qui place cette ville dans la Perfarmenie , c'eft-à- dire , dans l'Arménie majeure. Mais cet habile homme n'a pas fait réflexion , que ce que nous appelions l'Arménie n'eft pas aujourd'hui borné feulement à la province qui portoit autrefois ce nom ^ qu'elle renferme encore la Mçdie , avec qui,fuivant le témoignage même de Strabon, elle a tou- jours eu beaucoup de reftemblance , foit pour le climat , foie J'orne FUI. E
34 HISTOIRE
■ . pour le caractère des peuples qui l'habitent 3 Se que c'eftpour
H£N ri cette raifon que les Arméniens, qui étoient très-celébres du III. tems de Hay ton , comme ils le font encore de nos jours, après 1578. avoir aboli le nom des Medes , ont placé cette fameufe ville dans leur pais. Car du reffce il eft certain que tout ce que les auteurs anciens difent d'Ecbatane 6c de fa fituation , convient parfaitement à Tauris , comme Minadoi le prouve fort au long dans la diflertation qu'il a compofée exprès fur ce fujet adreflèe à Mario Corrado.
On peut encore prendre deux autres routes pour arriver à Tauris. La première par Erivan , en tirant à l'Orient , & paf- fant par Nallïvan 6c Chiulfal , elle eft de huit ou neuf jours de marche 3 5c ce fut celle que choifit le bâcha Ferhat, qui for- tifia Erivan. L'autre route n'eft aufli que de neuf jours de che- min , en prenant par la ville de Van , 6c le lac d' Actamar , 6c de-là par Coy , Marant, êcSoffian. Ce fut par celle-là qu'Of- man Pacha conduifit l'armée Turque. Enfin en forçant de Tauris , 6c tirant vers le Midi on trouve Salmas * 6c un peu à l'Eft Perfépolis , ou Syras 3 Cafbin, où les rois de Perfefont leur réfîdence , depuis que les Turcs leur ont enlevé Tauris - enfuite Cafîan, 6c plus loin Hifpahan , où Tonne peut arriver de Tauris qu'en quatorze jours 3 enfin la ville d'Heri dans la province qui porte ce nom. Après cette digreffion je vais re- prendre le fil de mon hiftoire.
Après la réception magnifique que Muftapha avoit faite au prince Maucchiar,ce général fe difpofoit à marcher versTirîis, îorfqu'ilfut arrêté par une tempête plus violente encore que la première 3 Elle étoit mêlée de pluie , de vents furieux , 6c d'éclairs , de elle dura fi long-tems , qu'elle l'obligea de refter encore quatre jours dans fon camp. Pendant ce tems-là la corruption fe mit dans cette tour , que le Bâcha avoit fait éle- ver des têtes des Perfans 3 6c cet amas confus de cadavres , de chameaux , 6c de mulets morts , dont la plaine étoit couverte, répandit une infedion qui empefta tout l'air des environs. Enfin le tems iè remit au beau 3 l'armée décampa 6c alla cou- cher le même jour fur les bords du lacGiol. L'orage avoit telle- ment rompu les chemins, que les chameaux deftinés à porter le bagage , 6c les chevaux qui traînoient l'artillerie ne pou- voient prefque avancer,Le lendemain on arriva àArchicheler5
par les Turcs.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIL 35
petite place qui avoit appartenu aux princes de Géorgie , ■ t
de dont les Turcs étoient alors les maîtres , depuis qu'elle Henri avoit été prife par Soliman dans les dernières guerres contre III. la Perfe. Là, comme on étoit en païs d'amis, on féjourna i C78. pour donner aux foldats un peu de repos. Pendant ce tems- îà Muftapha fit la revue de Ton armée , de il fe trouva que de- puis fon départ d'Erzerum il avoit perdu quarante mille hommes qui avoient été tués dans le combat , ou que les ma- ladies de la défertion lui avoient enlevés.
De-là les Turcs fe rendirent en deux jours de marche à Prife deTUUi Triala. On voyoit encore dans ce lieu pluiîeurs Chapelles de Eglifes appartenantes aux chrétiens Latins , qui s'y étoient confèrvés jufqu'alors depuis le tems de ces fameufes Croifades qui rendirent nos pères plus célèbres en Afie , 6c fur-tout dans la Syrie de la Paleftine,qu'elles ne furent avantageufes à la Re- ligion. Enfortant de Triala , l'armée eut à palfer une haute montagne fort rude , de alla camper fous une fortereiTe qui appartenoit aux princes de Géorgie. Enfin le lendemain elle arriva à la vue de Tiflis , que David-Chan , à qui elle appar- tenoit, de les habitans avoient abandonnée pour fe retirer dans les montagnes. Dans toute cette marche les Turcs furent fort harcelles par les princes Géorgiens qui étoient attachés à la Perfe , comme David-Chan , Jofeph, de à ce qu'on croit,Alexandre lui-mê- me , fils de Dedefmit , de frère de Maucchiar , qui étoit à la fuite de Muftapha. Comme ils connoilïbientie terrain , de que les ennemis l'ig-noroient , il leur étoit aifé de leur tendre des embufeades à chaque pas. Aufîî n'y manquoient-ils point , de des qu'ils appercevoient quelques pelotons fe détacher du gros pour aller au fourage,ils tomboient fur eux,aufîi bien que iùr tous les traîneurs , que quelque incommodité empêchoit de fuivre l'armée , de les enlevoient ou les tailloient en pièces.
Tiflis parut à Muftapha une place qui méritoit d'être for- tifiée. Dans cette vue il fit relever les murs de cette ville , y bâtit une fortereiTe , de mit dedans cent pièces de canon. Il en donna enfuite le gouvernement à Mahamet Pacha, un des commandans des avanturiers , qu'il laifîà dans la place avec une garnifon de fix mille hommes, compofée en partie de troupes qui étoient à la folde du Grand Seigneur , de en partie
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36 HISTOIRE
tssssszszs des volontaires que cec officier commandoit. Telles furent les
Henri expéditions du mois de Septembre.
III. De-là le général Turc marcha vers la Medie. Cependant
j ^73# l'armée diminuoit infenfiblement. Les troupes rebutées des travaux continuels de cette guerre fe retiroient fans prendre congé. Les Syriens fur-tout , qui étoient venus d'Alep pour apporter des vivres au camp defertoient par bandes. Un corps de quinze cens hommes de cette nation , commandé par Naflardin Chielebe, fut attaqué dans fa retraite par les Géor- v giens , qui le taillèrent en pièces après un combat obftiné. Il n'en échapa que très peu , que la bonté de leurs chevaux fauva. De ce nombre fut le Commandant , qui de-là fe rendit à Alep.
Cependant Muftapha , après avoir pafTé le fleuve qui coule le long des murs de Tirlis 6c les montagnes , dont cette ville eft. commandée , alla camper au pied dans une plaine maréca- geufe. Ce fut là que les députés d'Alexandre , fils de Leven- togli vinrent l'informer de l'arrivée prochaine de leur maître. En effet ilfe rendit auffitôt après au camp des Turcs , où il fut reçu avec les mêmes apparences de joie , 6c les mêmes honneurs que Maucchiarl'avoit été. Il fit enfuite {qs prefens au Général , qui lui donna auffi le Calaat j & après que ce Prince l'eut ailùré de fa foumûTion aux ordres du Grand SeL gneur , on le congédia , 6c on le chargea de préparer dçs pro- vifions pour le retour de l'armée.
De-là Muftapha , après une marche de douze jours , qu'il fit prefque toujours dans un rerrein humide , arriva fur les bords du Canach, dont j'ai déjà parlé, 6c campa en deçà, réfolu de donner quelque relâche à fes troupes. Dans cet en- droit il reçut une députation de la ville de Sechi îltuée fur la frontière du Schirvan , 6c de la Medie. Elle étoit compofée des principaux habicans de cette place, qui venoientlui en apporter les clefs , & fe remettre à fa diferetion. Le Bâcha les loiia de la fageréïolution qu'ils a voient prife , leur fit donner à chacun une velte de ioie , 6c les congédia , après les avoir afTùrés de fa protection.
L'armée avoit véritablement grand befoin de quelque re- pos. Outre la fatigue d'une fi longue marche, il y avoit peu de provisions au camp. Les foldats mouroient de faim , 6c
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIL 37
ëtoient prefque réduits au defefpoir. Il falloic donc trouver as moyen de réparer leurs forces , 6c de ranimer leur courage. Henri Dans ces circonftances on prit quelques efpions Perfans , que III. les ennemis a voient peut-être lâchés à defîein de faire donner 157 g, les Turcs dans le piège. Ils les informèrent qu'il y avoit des vivres en abondance au-delà du fleuve 5 & fur cet avis le Gé- néral ne fut pas le maître de retenir Ces troupes ; elles com- mençoient déjà à murmurer , 6c il y avoit à craindre qu'elles nefe mutinaflent. Ain fî pour prévenir la fédition , Mufta- pha donna une permilîion générale d'aller au fourrage, après avoir averti fes foldats de prendre garde à eux , 6c de ne pas donner imprudemment dans quelque embufeade.
A peine cette permifîion fut-elle donnée , que dix mille Rencontre hommes , compofés la plupart des valets de l'armée, fortirent des perfans. iuivis d'un grand nombre de chevaux & de chameaux deftinés à porter le fourrage. Ils s'avancèrent jufqu'au confluent du Canach 6c de l'Araxe , qui n'étoit pas éloigné j 2c après avoir fait leurs provisions , ils fe di/pofoient à retourner au camp , lorfqu'ils fe virent chargés par Alyculi - Chan , Emanguli- Chan , Serap-Chan , 6c quelques autres Seigneurs qui s'é- toient trouvés au dernier combat qui s'étoit donné le mois d'Août précédent dans la plaine de Chielder. Ils étoient de-là retournes à la Cour , d'où ils avoient eu ordre de fe rendre auprès du général de l'armée Perfanne. Ces troupes enve- lopérent les Turcs , &: les taillèrent tous en pièces.
Le bruit de cette défaite mit l'allarme au camp , où on ne douta pas un moment du malheur qui étoit arrivé. AuiTitôt Muftapha rangea fes troupes en bataille , 6c marcha en dili- gence au fecours de [es gens. S'il arriva trop tard pour les fau- ver,il fut du moins encore allez à tems pour venger leur mort. Les Perfans ne penfoient qu'à ramalîer le butin que les en- nemis avoient fait , lorfque le Bâcha tomba fur eux avecim- pétuofité. Dervis conduifoit l'aîle gauche le long de l'Araxe -, Beyran cbmmandoit à l'aîle droite , & s'étoit faifî des bords du Canach. Pour Muitapha, il étoit au centre. A cet afpect les Perfans perdirent contenance , & ne tardèrent pas à fe repen- tir de s'être arrêtés fi long-tems au butin. Ils voyoient de- vant leurs yeux ces mêmes ennemis , qui les avoient vaincus peu de tems auparavant venir à eux avec fureur , impatiens
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3 8 HISTOIRE
j" de tirer vengeance du fang de leurs camarades , qui fumoît
Henri encore. Ils etoient beaucoup inférieurs en nombre ; envi- III. ronnés d'un côté par l'Araxe , & de l'autre par le Canach, 1578. ils ne voyoient aucun moyen de reculer , ni aucune efpérance de pouvoir penfer à la retraite. Dans cette trifte foliation , les chefs eux-mêmes ne fçavoient quel parti prendre. Les uns ne comptant que fur leur bravoure, &: ne penfant plus qu'à mou, rir généreufement les armes à la main , fe difpoioient à fe battre jufqu'à la dernière extrémité. D'autres au contraire , moinsfènfiblesà l'honneur qu'au bien du royaume , préten- doient qu'on ne devoit pas rifquer auffi imprudemment le fa- lutde l'Etat, dont ce combat alloit décider. Dans cette di- verfîté d'avis ils furent chargés par les Turcs , 6c cette bruf- que attaque ne leur donnant pas le tems de fe déterminera aucune réfolution dont tout le monde pût profiter , chacun penfa à fe fauver du mieux qu'il put. Tocmafes lui-même fe jetta le premier dans le Canach, fuivi d'Emir-Chan, 6c de tous les Seigneurs 6c principaux Officiers de l'armée 3 £c comme ils montoient des chevaux vigoureux , ils abordèrent à la nage de l'autre côté du fleuve. Une infinité d'autres fuivirent leur exemple , 6c n'eurent pas le même bonheur. Comme ils n'é- toient pas fi bien montés , les forces manquèrent à leurs che- vaux, 6c ils périrent dans le fleuve. Ce funeffce fuccès décou- ragea ceux qui étoient prêts , comme eux , de tenter le même fort ^ 6c ils jugèrent qu'il valoit encore mieux pour eux fe faire tuer les armes à la main , que de fe noyer. Dans cette ré- folution ils tinrent ferme , 6c le defefpoir leur donnant de nouvelles forces, ils combattirent encore afîez long -tems avec beaucoup de vigueur. Enfin accablés par le nombre , ils furent tous , ou paffes au fil de l'épée , ou faits prifonniers par les Turcs , après avoir vu ce petit coin de terre teint d'abord du. fang de leurs ennemis , 6c couvert enfuite du leur 6c de celui de leurs camarades. Il eft certain qu'il y eut ce jour-là plus de vingt-cinq mille hommes de tués. Le nombre de ceux qui périrent dans le Canach fut encore fort grand. Les Turcs, outre les dix mille hommes qu'ils avoient envoyés au fourrage, perdirent de leur côté trois mille foldats dans cette dernière
action.
Jocmafes écrivit aufïïtôt après àHodabendes la nouvelle
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIL 39
de ce mauvais fuccès , de façon cependant à diminuer l'idée »
de la perte qu'il avoit faite , en exaggérant celle de l'ennemi, Henri Il mandoit au Roi , qu'à la vérité il avoit été vaincu par le III. nombre -, mais que l'armée Turque étoit fi fort affoiblie , qu'il 1 c 7 8 l'avoit mife hors d'état de rien entreprendre davantage } qu'elle étoit accablée de fatigues, de langueurs, &. de miféres 5 qu'il n'y avoit pas dedans , un feul homme qui ne fût chargé de bleflùres , & que fi on lui envoyoit à tems de nouveaux le- cours , il comptoit encore la défaire, avant qu'elle pût fonger àfe rapprocher de Ion païs. Enfuite il fè retira dans fon gou- vernement d'Erivan. Quelques autres Seigneurs fuivirent fon exemple , de en attendant de nouveaux ordres de la Cour , Emanguli-Chan retourna à Genge, & Serap-Chan à Naffivan. D'un autre coté , Muftapha réfolu de ne perdre aucun des avantages que ce dernier fuccès pouvoit lui faire efpérer,mar- cha fur le champ vers le Canach -, & il fit publier ordre à tou- tes (es troupes de fe tenir prêtes a palier ce fleuve le lende- main. Cette nouvelle réfolution du général Turc excita un murmure univerfel j toute l'armée s'afîembJa autour de fa tente , prête d'en venir contre lui aux plus facheufes extré- mités. Ce contre-tems ne déconcerta point le Bâcha j il fe prefenta à fes troupes , les encouragea , leur reprocha leur lâ- cheté j leur remontra : Qu'il n'y avoit point d'homme de cœur qui ne dût préférer la gloire à fa propre confêrvation , & que ce n'étoit point en paflànt fa vie dans la mollefle & les délices qu'on y arrivoit , mais en s'expofant aux plus grands travaux, éc en bravant tous les dangers : Qu'au refbe il n'étoit que le miniitredes ordres de leur maître,aufquels elles étoient obli- gées de fe foumettre -y qu'ainfiil étoit réfolu , quoiqu'il en pût arriver, de tenter le pafîàge du fleuve le lendemain , & que s'il avoit le malheur de périr dans cette entreprife , il les prioit de retirer fon corps du milieu des flots, & de le faire paffer fur le rivage oppoîé, afin qu'on pût dire qu'il étoit venu à bout, du moins après fa mort , de ce qu'il ne lui avoit pas été poffible d'exécuter pendant fa vie j & pour apprendre par- là à tous ceux , qui , comme lui , fe trouveroient à la tête des armées Ottomanes, à ne pointménager leurs jours lorfqu'il s'agit de procurer la gloire de l'Empire , Se d'obéïr aux ordres du Souverain,
4o HISTOIRE
Muftapha congédia Tes foldats avec cette réponfe j Se dès Henri le lendemain il le jetta le premier dans le fleuve à la tête de III. tous les Bâchas , 6c des principaux Officiers , fuivis des valets 1578, 6c des efclaves. Cette première troupe pafla fans accident. Tout le refte de l'armée imita aufïïtôt l'exemple de fon Géné- ral. Mais le pafïage fe fit avec fi peu d'ordre , comme il ne pouvoir guéres manquer d'arriver dans une fi grande multi- tude, qu'il y périt près de huit mille hommes. Leunclavius fait monter jufqu'à dix-fept mille le nombre de ceux qui fu- rent emportés par les flots, fans compter les chevaux, les chameaux 6c les mulets. Ainfi comme lesTurcs ne pouvoient fe prévaloir , d'avoir eu fur terre quelques jours auparavant au- cun avantage fur leurs ennemis , leur perte égala encore ce jour là fur les flots celle que les Perfansy avoient faite alors. La nuit qui furvint obligea de laifTer le bagage , l'argent 6c l'artillerie de l'autre côté du fleuve. Tout cela pafîa le len- demain avec le refte des troupes j 6c il n'arriva alors aucun malheur , parce que les Turcs s'étoient allures du pafTage aux dépens de leurs camarades.
Les Turcs après avoir ainfî traverfé le Canach , féjour- lièrent au-delà , afin de prendre un peu de repos. Enfuite l'ar- mée fe remit en marche , 6c entra d'abord dans un païs fté- rile 6c dénué de tout. Cestriftes objets rejettérent les troupes dans le defefpoir. Elles fe plaignoient hautement de ce qu'on ne fe contentoit pas de les expofer au fer de leurs ennemis 5 qu'elles fe voyoient encore obligées de courir tous les jours de nouveaux dangers , 6c qu'elles avoient un Général impitoya- ble , qui fembloit prendre à tâche de les faire mourir de mi- fére6c de faim. Mais dès le lendemain toutes ces plaintes s'é- vanouyrent , lorfque de cet affreux défert elles païlerent dans des campagnes fertiles , couvertes de toutes fortes d'arbres &c de fruits. Cette vue réjouît le foldat, 6c ranima toutes Tes efpérances.
De-là Muftapha vint à Eres , qui eft la première ville du Schirvan , que l'on trouve en fortant de la Géorgie. La plus grande partie des habitans l'avoit abandonnée pour fuivre Samir-Chan , qui en étoit gouverneur. Ce Seigneur, aufîitôt qu'il avoit été informé de l'approche des Turcs , avoit fait raire le dégât dans tous les environs , &s'étoit retiré dans les
montagnes
DE J. A. DE THOU, LiV. LXVIÏ. 41
montagnes voifines avec Ares-Chan gouverneur de Scama- - ■ chie , & tous les autres grands Officiers de cette province , H e n &i réfolus d'attendre des événemens quelque occafïon qui les III* mît en état de prendre leur parti. Ainfi les Turcs n'eurent pas 157^, befoin de mettre la force en ufage pour fe rendre maîtres de cette ville 5 & le foldat ne s'y enrichit pas beaucoup, parce que long-tems auparavant les habitans avoient eu la précau- tion de mettre à couvert ce qu'ils avoient de plus précieux. L'armée féjourna dans cette place pendant vingt-deux jours, que Muftapha employa à la faire fortifier , &; à y élever une forterefTe, dont il confia le commandement au bâcha Caïtas , un des commandans des Avanturiers , avec une garnifon de deux cens Arquebufiers , & de cinq mille hommes. Enfuite il nomma gouverneur général du Schirvan le bâcha Ofman , qui commandoit aufli les Avanturiers , & il le déclara Vifîr de la Porte j dignité que ceux qui font à la tête des armées Otto- manes ont droit de conférer pendant tout le tems que dure leur expédition. Il le chargea en même tems de fe rendre maî- tre de Scamachie capitale de la province , qui n'effc pas fort éloignée d'Eres. Le Général lui donna dix mille hommes de troupes pour exécuter ce projet , avec ordre de marcher en- fuite contre Derbent.
Cette ville fltuée fur la mer Cafpienne portoit autrefois , félon quelques-uns , le nom d'Alexandrie. Aujourd'hui elle s'appelle encore Temircapi, c'cft-à-dire, les portes de fer, parce qu'elle efb bâtie au milieu de ces défilés , que les Prin- ces voifins fermoient autrefois avec des portes , & où ils met- toient garnifon pour arrêter les courfes des Scythes qui fe répandoient par-là dans tout l'Orient. Ofman eut ordre d'y attendre l'arrivée des Tartares qu'Amurath avoit mandés , éc qui probablement dévoient alors être en marche pourjoiiv dre l'armée Turque. A l'approche d'Ofman le peu d'habi- tans qui étoit refté dans Scamachie lui en ouvrit les portes. Le Bâcha d'un autre côté les traita avec beaucoup de dou- ceur , &c empêcha qu'on ne leur fît aucune violence , perfuadé que cette conduite engageroit peut-être quelques autres vil- les à les imiter. Ses efpérances ne furent point trompées. Peu de tems après , ceux de Derbent , qui , quoique fournis aux Perfans , étoient cependant d'une Religion différente , Tome VIII. F
«iue,
4« HISTOIRE
réfolurent de fuivre l'exemple de leurs voiflns • Se gagnés par Henri la clémence donc Ofman avoir ufé à leur égard, ils lui en» III. voyérent des députés pour lui marquer qu'ils fe foumettoient jf r7g. à fes ordres. Sur ces nouvelles Muftapha, après avoir mis en état la nouvelle forterefîé qu'il faifoit élever à Eres , 6c qui étoit déjà avancée , 6c avoir laiilè dans cette place une bonne garnifon , fe rendit enfin aux prières des Jannifîaires 6c des troupes de la Grèce. L'hyver approchoit -y ainfi il rélolut de retourner à Erzerum , 6c de prendre fa route par le païs du prince Alexandre, fils de Leventogli , comme ils en etoienc convenus. Retour de Le oremier jour de fa marche il alla camper au pied d'une montagne fort rude. De-là il envoya devant des charpen- tiers 6c des pionniers pour faire un pont fur le Canac , afin que fon armée put paifer ce fleuve commodément 6c fans danger. Enfuite il fit fçavoir fon arrivée à Sahamal. Sur cet avis ce Prince defeendit auffitot de fes montagnes , 6c vint fe rendre auprès du général Turc. Il le complimenta d'abord fur fes fuccès, après quoi il lui marqua qu'il remettoit fes Etats fous la protection du Grand Seigneur. Le Bâcha lui fit enfuite donner le Calaat , èc le congédia..
Comme la nuit étoit fort fereine , Muftapha continua fa marche , 6c s'apperçut le matin qu'il étoit entré dans le païs du prince Alexandre , fils de Leventogli , par l'abondance des rafraîchifîemens qui vinrent à fon armée. De fon côté il dé- fendit à fes troupes de faire aucun dégât dans la campagne. Sur fa route il reçut des députés du Prince, qui lui apportè- rent des prefens de la part de leur maître , 6c le prièrent de l'excufer s'il ne fe rendoit pas en perfonne auprès de lui , parce qu'il étoit incommodé , Paffiirant d'ailleurs de fon parfait dévouement. Le général Turc parut fe contenter de cette exeufe , 6c laifïant fur fa gauche Zaghen , lieu de la réfidence de ce Prince, il fe rendit à Tiflis. Là il trouva la garnifon dans un état pitoyable. Les foldats mouroient de faim , 6c étoient réduits à la dernière extrémité, obligés démanger les chats , les chiens, 6c jufqu a des peaux de brebis , pour fe foûtenir. Ils n'aceufoient de leur mifère que leur Gouverneur, qui par une févérité outrée ne vouloit pas leur permettre de fortir de la place pour aller au fourrage ? fous prétexte qu'il y
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 43
âvoit à craindre qu'ils ne donnaflent dans quelque embufca- ^^55^5 de. Dans le fond il n'étoit II rigide,que parce qu'il appréhen- Henri doit qu'ils ne confumaflent les Fruits des environs , qu'il avoit III- cependant grand foin de recueillir 6c de ferrer dans fes ma- 1 cy 8« gafîns. Muftapha les confola , il leur fit donner des rafraî- chiflèmens , 6c leur promit qu'ils feroient mieux traités dans la fuite.
Après avoir paffé deux jours à Tirlis , les Turcs en parti- rent , & traverférent la plaine quieftau-deffous de cette ville, où ils mirent tout à feu 6c à fang. Ils épargnèrent feulement les tombeaux des ancêtres de Simon , proche defquels ils allèrent camper. Le lendemain l'armée marcha par des che- mins inaccefîi blés , remplis de montagnes 6c dévalions im- praticables. Outre les autres incommodités du voyage, les troupes avoient beaucoup à fouffrir delà neige qui tomboit en abondance , 6c que le vent leur jettoit au nez -y en forte que pendant trois jours on perdit beaucoup de chameaux , de chevaux , 6c de mulets , fans parler des hommes. Car la faifon étoit fî rude, que plufîeurs , fans fe mettre en peine du danger qu'ils couroient de donner dans quelque parti enne- mi , alloient chercher une retraite loin du camp. Les Géor- giens prirent cette occafion pour les attaquer au moment qu'ils y penfoient le moins. Comme ils connoifïbient parfai- tement tout le païs , ils allèrent déloger Hailàn Bâcha dont ils tuèrent les domeftiques , 6c ils enlevèrent tout fon baga- ge, qui étoit d'un prix très-confîdérable j à peine lui-même le feroit-il fauve , s'il n'eût été promptement îècouru par Ha- la commandant des Spahis , qui le retira de leurs mains , Ôc le conduifit à la tente de Beyran Bâcha , où il fut en fureté.
De-là les Turcs allèrent camper à Chiurcala , 6c on en- voya au fourrage prefque tous les valets de l'armée. Enfuite Muftapha reçut des députés d'un certain prince de Géorgie parent de Simon , qui lui demandèrent de la part de leur maî- tre la permifïïon de le venir faluer. Il la leur accorda : mais perfonne ne parut , àc la fuite fit connoître que ces députés étoient de véritables efpions , qui ne s'étoient rendus au camp que pour fçavoir ce qui s'y pafToit.Ils allèrent informer les en- nemis de la marche de ceux qu'on avoit envoyés au fourrage, Se ils furent tous taillés en pièces. Ainfi depuis ce jour la
F ï)
44 HISTOIRE
difette fut grande dans les troupes , parce que les ennemis Henri étoient les maîtres de tout le païs qu'elles traverférent , juf. III. qu'à ce qu'elles arrivaient fur les frontières des Etats de la i Î78. princellè Dedefmit. Là il fallut encore camper > ôcpaflèr la nuit dans des défilés coupés par l'Araxe , qui dans cet endroit fait mille replis fur lui-même , &: roule les eaux avec fracas fur ces rochers. Le lendemain on fut obligé de traverfer des précipices affreux , &c de marcher le long des bords de ce fleuve , qui étoient tout glacés , en forte que plufleurs cha- meaux , chevaux , & mulets s'y précipitèrent.
Enfin on arriva à Altuncala , lieu de la réfîdence des Prin- ces de ce petit Etat -, &: les troupes , après avoir effuyé pen- dant fîx jours toutes les fatigues d'une route pénible jointes aux incommodités de la difette , trouvèrent de quoi fe dé- dommager dans cette place , où Dedefmit leur avoit prépa- ré des vivres en abondance. Cette Princefîè y vint faluer Mu. ftapha , à qui elle préfenta Alexandre fon fils aîné. Ce Gé- néral rit beaucoup d'honnêtetés à cette Princellè , &il vou- lut qu'elle fut affilé à côté de lui dans toute cette entrevue , pendant laquelle il fit venir Maucchiar qui rendit compte à ià mère des bontés que le Bâcha avoit eues pour lui dans tout ce voyage. De là Muftapha , après avoir fait beaucoup de carefîès à Alexandre , prit occafion de prier la Princefîè de le lui laifîèr , en lui faifant entendre que fon deflèin étoit de l'envoyer à Conffantinople avec fon frère , & des lettres par lefquelles il informeroit le Grand-Seigneur de l'attache- ment que la mère 6c les fils avoient pour les intérêts de l'Em- pire , & en l'aiTurant que le Sultan feroit certainement beau- coup d'accueil aux deux jeunes Princes. Quelque peine que cette proposition fît à Dedefmit , cette Princeffe fage & cou- rageufe fçut cependant fe contenir. Elle fit réflexion que , quoique née libre, la démarche qu'elle faifoit en faveur de ce Barbare , étoit le premier a&e qui marquoit fon efclavage & la perte de fa liberté ; que d'ailleurs un de Ces fils étoit déjà entre les mains des Turcs. Ainfî elle fe compofa & répondit avec une feinte joïe que le Grand-Seigneur étoit le maître de difpofer de tout ce qu'elle avoit. Elle finit par prier le Bâ- cha de prendre fes deux fils fous fa prote&ion. C'étoit le feul fervice qu'elle fût encore en état de leur rendre.
DEJ. A. DE THOU, Liv. LXVII. 45
Après avoir ainfi congédié cette PrincefTe , &c donné dans -
ce lieu deux jours de repos à (es troupes , Muftapha leur fit Henri prendre la route de Chars. Comme il n'y avoit plus d'enne- III. mis à craindre , elles ne gardoient plus tant d'ordre , &c mê^ x -_ g me pour la commodité des logemens , elles marchoient par pelotons. Le premier jour elle campèrent à Clifca , petite place qui dépendoit encore de Dedeïmit.Cependant les Turcs n'ayant plus la faim ni d'ennemis à combattre, eurent beau- coup à iouffrir de la rigueur du froid , qui en fît périr plu» fîeurs dans cette marche. Enfin ils fortirent des terres de Géorgie , de fe rendirent en deux jours à Bucardachan , où. ils célébrèrent avec leurs cérémonies ordinaires la (ète du Ramadan , qu'ils avoient été obligés de différer. De là en quatre jours de marche ils arrivèrent avec beaucoup de joie à Erzerum , où les troupes furent licentiées.
De cette ville Muftapha écrivit à Amurath pour lui rendre compte de fes fuccès , dont il tâchoit de lui donner une fort grande idée 3 il lui marquoit : Qu'il s'étoit rendu maître de Tiflis qu'il avoit la vanité de comparer à Damas : Qu'il avoit remporté deux grandes vidoires fur les Perfans , fournis tou- te la Géorgie à l'empire Ottoman , arrêté avec le plus grand bonheur du monde la mutinerie desJannifTaires ôtdes troupes de la Grèce , fortifié Eres dont il avoit confié la garde à Caï- tas Bâcha , 6c réduit à l'obéiflance de Sa Hautefle les villes de Derbent &: de Scamachie , dont il avoit donné le gouver- nement à Ofman. Il ajoûtoit , qu'il jugeoit à propos de for- tifier Chars , parce qu'on trouvoit dans cette place des pro- vifïons en abondance , & que fa fltuation étoit fort avanta- geufe pour faire entrer des troupes en Perfe , par l'Arménie & la Géorgie. En même tems il envoya à la Porte Alexandre & Maucchiar , qu'il recommanda au Sultan , enfaifant l'élo- ge de leur attachement & de celui de Dedefmit leur mère , aux intérêts de l'Empire. Cependant il avertiflbit aufîî le Grand- Seigneur d'avoir plus d'attention pour Maucchiar , & de le mettre fur le trône préférablement à fon frère r parce qu'il paroilFoit mieux difpofé , qu'il s'étoit offert de lui-même dès fon entrée dans le pais , à fervir fous lui , & qu'on avoit de jufles raifons de croire qu'Alexandre étoit de concert avec ceux qui avoient taillé en pièces les dernières troupes qu'on
ne.
4.6 HISTOIRE
avoir envoyées au fourrage. La nouvelle de ces fuccès fît beau- Henri coup de plaifîr à Amurath , & lui donna de grandes efpéran- III. ces pour l'avenir. Ain fi il eut foin qu'on travaillât en diligcn- o ce à faire tous les préparatifs nécefîaires pour la continuation de cette guerre , remettant à donner quelques avis au Gé- néral , lorfqu'il les jugeroit convenables.
Cependant depuis le départ de Muftapha , Ofman atten- doit l'arrivée des Tartares qui dévoient venir le joindre. Je crois qu'on ne me fçaura pas mauvais gré , avant que de con- tinuer ma narration , de donner à cette occafîon une idée de l'origine de ces peuples , de leurs mœurs , & de leurs ufàges , tant dans la paix que dans la guerre. Defcription Les Tartares habitent ces vaftes déferts qui s'étendent Je la Tatca- dans la Scythie , au Nord de l'Afîe & de l'Europe. Ces peu- ples n'avoient autrefois qu'un feul Chan ou Seigneur • mais aujourd'hui cet Empire eft fort partagé , & ils reconnoiflent plufieurs maîtres. Les plus voifins de la Pologne, qui fe voit fans cefTe expofée à leurs courfes continuelles , font les Tar- tares d'Europe , dits communément les Tartares de Precops, ou petits Tartares. Ceux-ci habitent le Nieller & les mon- tagnes de la BefTarabie, ou de la bafle Valachie , fur les bords du lac Vidovo & de la mer Noire , où ils font maîtres de Bialogrod • èc s'étendant enfuite dans ces vaftes plaines qui font au delà du Niefter , entre ce fleuve ÔC le Bog , ils poûe- dent la célèbre ville de la forterefïe d'Oczakow , à qui Pline ScPtolomée donnoient anciennement le nom d'Olbiopolis , &; qui eft fituée à l'embouchure du Nieper , un des fleuves du monde le plus large & le plus rapide , qui va fe jetter dans le golphe de Negropoli. A quatre milles au defïus d'Ocza- kow , le Nieper reçoit le Bog , que Martin Bronovius croit être l'ancien Hypanis ; auquel cas il faudroit corriger les car- tes de Ptolomée qui place ce fleuve vers l'Orient au delà du Nieper , puifque le Bog fe jette dans ce fleuve du côté de l'Occident. Dans ces folitudes affreufes on trouve les plaines de Sauran &. des CircafTes , & au delà du Nieper , les Tarta- res d'Ofïbw , ainfi appelles de la ville &; citadelle qui portent ce nom , &: qui font fltuées à l'endroit où le Tanaïs , qu'on appelle aujourd'hui le Don , vafe jetter dans les Palus Méo- tides , maintenant nommés la mer de Zabacche. De là
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jufqu'à la prefqu'Ifle de Fridonifi , que forment le Nieper & le golphe de Negropoli > 6c que les anciens nommoient le Cours Henri ci7 Achille , on compte trente milles de pais , où l'on ne voit III. que des chaumières 6c des cabanes habitées par les Tartares. i 5 7 g 4
Ces provinces confinent à la prefqu'Ifle de Crimée. Ce païs , qui eft un peu moins grand que la Morée , & que les anciens appelloient la Cherïonefe Taurique , fut longtems habité par des peuples qui s'étoient rendus l'horreur du genre humain , par la coutume barbare qu'ils avoient de maflàcrer 6c de facrifier à leurs Dieux , les étrangers qui abordoient dans cette contrée. On trouve en y entrant Precopski , d'où les Tartares Précopites ont tiré leur nom , 6c qui lèlon quel- ques-uns porta autrefois , d'abord celui d'Heracleotide , 6c enfuite ceux d'Eupatorie 6c de Pompeïopolis. Cette ville a un Gouverneur perpétuel , qui parmi ces peuples porte le titre de Beg , 6c qui eft nommé par le Chan des Tartares , pour garder les pafTages du Nieper &: du Don. Elle eft aufîî défendue par une bonne garnifon , 6c fortifiée d'un foffé fou- tenu de dix-fept tours , bâties autrefois fous le régne de Sa- chinbgier-Chan , roi de cette prefqu'Ifle , qui remporta une vidoire mémorable proche de Precopski , fur les Tartares Nohaycenfes ou de Nogaïs , habitans des bords du Don du côté de l'Afie , qui ne vouloient pas le reconnoître.
C'eft Là qu'eft le rendez-vous des troupes , lorfque le Chan ou Kan des Tartares fe difpofe à marcher à quelque expé- dition. Au refte il faut remarquer que ces Princes ne peuvent entreprendre aucune guerre que de l'aveu 6c avec la permit- £011 du Grand-Seigneur , fi ce n'eft contre les Mofcovites. C'eft une loi qui leur fut impofée par le Sultan Selim , lorfl qu'il fit la conquête de ce païs , 6c fournit fes Souverains à l'obéïfTance de l'empire Ottoman. On trouve encore dans cette prefqu'Ifle , outre Precopski , Beccafaraï qui en eft com- me la Capitale , 6c le lieu de la demeure du Prince : Salade ne fait prefque qu'une même ville avec elle , 6c à quelque du fiance de là on voit un village nommé SortafTe , qui eft de- venu célèbre depuis que les ambafladeurs de Pologne , de Moldavie 6c de Mofcovie , y font leur réfidence. La plupart des habitans de cet endroit font Chrétiens , ôc Génois d'ori- gine , ôc ils y ont une Eglife où ils font encore l' Office divin.
48 HISTOIRE
il i La forterefTe de Crym n'eft. pas non plus fort éloignée de
Henri cette Capitale. C'eft le feul endroit dupais où on batte mon-
III. noyé , encore n'y fait-on que des pièces d'argent j car par le
- ç_g traité que Selim paifa avec cette nation après l'avoir iubju-
guée , tout l'or qui fe trouve dans cette contrée appartient
au Grand-Seigneur. C'eft dans cette forterefTe que le Sar ,
ou Prince du pais , fait enfermer {es femmes loriqu'il part
pour quelque expédition.
Outre ces villes qui font bâties dans les terres , la Crimée a encore plufieurs places lur la côte. Une des principales eft. Caria , à qui les anciens donnèrent le nom de Théodofie , 6c qui eft une colonie des Génois. Sa rade & fon commerce l'ont rendue célèbre , & les Turcs en partagent le gouvernement avec lesTartares. On voyoit encore de nos jours dans une des Eglifes de cette ville une bibliothèque nombreufe, corn- pofée de plufieurs anciens livres très-curieux -, mais l'avarice ou le dérèglement des Eccléfiaftiques du rit Latin, qui la deflervoient , les en a fait chafïèr , de elle a été donnée aux Arméniens. On trouve encore fur la côte les villes de Suda- gra qui eft défendue de trois forterefïès , de Jamboli , d'In- germen , &; de Corfune qu'on appelloit aufli autrefois la ville de Cherfonefe.
Cette dernière place étoit anciennement fort célèbre pour la beauté de fes édifices , pour les monumens de marbre dont elle étoit ornée , & la magnificence de fes Eglifes. Aujour- d'hui ce n eft plus qu'un amas confus de ruines & de décom- bres , depuis que les Turcs èc les autres nations, fous la do- mination defquelles elleapanefuccelîîvement, en ont enlevé ce qu'il y avoit de plus beau , foit en marbre ou en airain de Corinthe. Il y a encore quelque refte de Chrétiens , qui fur la foi d'une ancienne tradition , tiennent pour un fait certain , qu'Ulodimir roi de la petite Rufîie fit tranfporter à Kiovie deux portes 6c deux ftatuës d'airain de Corinthe , qui étoient dans l'églife du Monaftére de cette ville , tk. qu'elles furent transférées à Gnefne , où ils difent qu'on les voit encore au- jourd'hui à la porte de la Cathédrale , par Boleflas II. roi de Pologne : Que ce roi Ulodimir avoit conquis cette place fur Jean Zimifca empereur de Confhmtinople : Que dans la fuite il époufa la princeflè Anne , feeur des empereurs Baille Se » Conftantin ,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 49'
Conftantin , de fe convertit à la religion Chrétienne , de qu'ayant reçu le Baptême à la manière des Grecs dans ce me- Henki me Monaftére , par les mains d'un patriarche de Conftanti- III- nople , qu'ils ne nomment point , il réunit cette place à l'Em- 1578» pire. Devant cette ville on trouve le cap Roîàphar , que Strabon appelle cap Parrhenien • enfuite la ville de Mancup , de enfin Coilovie , en tirant vers le golphe de Negropoli,
La vigne produit dans ce païs-là du raifîn en abondance, Caractère dea naturellement de fans être cultivée , de la terre n'attend point {^[TaÇi le foin du laboureur pour porter des fruits. Les pâturages y font très-gras & couverts d'une infinité de beftiaux. Ce font d-e vaftes prairies toujours vertes , même au milieu de l'hiver, qui ne produit dans ces contrées ni neiges , ni glaçons , ni frimats , en forte que le climat contribue beaucoup à la fer- tilité de la terre. Cependant au milieu de cette abondance , ces peuples portent la tempérance jufqu'à l'excès , de confer- vent par leur frugalité une fanté forte et robufte. On ne con- noît chez eux ni le luxe, ni la délicatefTe. L'yvrognerie eft parmi eux un grand crime , & on y punit de mort l'adultère , qui eft une d.Qs fuites ordinaires de la débauche.
Ils fuivent dans le gouvernement ces deux grands princi- pes qui font le fondement de la juftice , fçavoir ; de ne faire de mal à perfonne , de de travailler au bien de la fociété. Ce qu'il y a de plus étonnant , c'eft que le vol eft inconnu au mi- lieu de cette nation féroce de barbare , accoutumée à ne vivre que de guerre de de brigandages. On ne perd jamais rien par- mi eux , de on voyage avec plus de fureté au milieu de ces dé- ferts , que dans les provinces de les villes les plus peuplées, auflî les armes font elles défendues chez eux. Ceux qui en portent font traités comme aflaflïns , de ils ont des régies fixes pour le châtiment des autres crimes , qu'ils puniilçnc très- iëvérement.
Les Prêtres delà fede Mahométanefont chez eux les dé- positaires &; les interprètes des loix. Une des principales fon- dions de leur Kan ou Sar , eft de rendre la juftice , de il s'y rend fort aflîdu. Il eft alors affilié du Généralifîime de Ces ar- mées , qui porte chez ces peuples le titre de Galga , de qui eft aflis à fa droite : c'eft toujours celui des frères du Prince qui eft le plus âgé. A la gauche il a fes enfans appelles Soudans , Tome VIII. G
5o HISTOIRE
g qui prennent féance avec lui dès qu'ils font en âge , Se queL
Henri ques-autres Confeillers à qui cette nation donne le nom àï'APa* III. les. Le Prince ne prononce qu'après avoir pris les avis de 1578, l'affemblée , & perfonne n'ofe fortir de là que l'affaire ne foie finie. Les Nobles qu'ils appellent Murées , ont encore dans les villes un tribunal particulier dont les juges portent le nom à'Haionats j ces Magiftrats font admis à la table du Prince,., &; cet honneur qui eft une récompenfe de la bravoure , ne fe prodigue point aux perfonnes d'un mérite médiocre.
Au refte , ceux qui parmi eux ont le plus d'eiclavcs , fbnc les plus confîdérés. A la mort tous leurs enfans héritent1. Le fils aîné prend les plus belles armes 6c le meilleur cheval de fon père -y c'eft tout l'avantage qu'il a : le refte eft partagé également. Pour ce qui eft de la tutelle , elle eft dévolue aux oncles. On choifit parmi les frères du Prince , celui qui a le plus de réputation de bravoure , pour en faire fon héritier préfomptif. On lui donne le titre de Galga , & à la mort du Kan , c'eft lui qui lui fuccéde à la couronne : à fon défaut, c'eft le fils aîné du Roi qui hérite.
Le Prince n'a point chez ces peuples de domaine particiv lier , & les tailles , ni les impôts ne groffifTent point Ïqs reve- nus : feulement chaque puits que l'on creufe lui doit un che- val. Outre cela il partage avec les Turcs les droits qui fe lé- vent dans fes ports fur les marchandifes étrangères. Tous les métaux lui appartiennent ,à l'exception de l'or , qui par les traités doit être réfervé pour le Grand- Seigneur. Il a auffi la dixme de tous les fruits qui fe recueillent fur fes terres. Il tire encore un droit fur tous les prifonniers , qui eft de trois fè- quins pour chaque prifonnier de marque , & un fequin par tête pour les autres. D'ailleurs la nation eft obligée d'entre- tenir fa maifon Se de lui faire fon équipage lorfqu'il va à la guerre. Enfin comme fon fils eft toujours en otage à la Porte ? les Turcs à leur tour lui payent cinq mille cinq cens écus d'or par an.
Avec des revenus fi peu confîdérables , il eft étonnant com- bien ce Prince peut mettre de troupes fur pied. Elles paflenc les armées Chrétiennes les plus nombreufès. Lorfqu'il veut aller à la <ruerre,il fait fçavoir fes intentions. Aufîitôt tout le monde monte à cheval 3 on ne laiflè dans chaque cabane
■«minam-jiawai
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qu'un feul homme pour garder la maifon , & le Prince fe voit
en un inflanc à la tête de cent cinquante mille chevaux. Lorf. H e n iu
que les Tartares Circailes èc ceux d'Aftracan fe joignent à III.
cette armée, ce qui arrive allez fouvent j toutes ces troupes 1 57S,
réunies forment deux cens mille hommes. Au refte il y va de
la tête à ne pas fe trouver au rendez-vous.
Dans leurs expéditions ils mènent chacun plufieurs che- vaux, &: entrent d'abord furies terres ennemies , pour ne pas ctre obliges de ravager eux-mêmes leur propre païs. Chaque foldat porte avec lui des vivres pour trois mois. Ils confident en viandes fumées , en ail , en fromages , &; en certaines ra- cines qui leur tiennent lieu d'aromates , &: que nos François appellent ordinairement, pour cette raifon, racines Tartares. Ceux qui font à leur aife font des provifions un peu plus am- ples. Pour le pain 6c le vin ils s'en mettent peu en peine , toute eau leur eft bonne , & ils croient que la plus mauvaife ne fçau- roit incommoder, pourvu qu'on ait la précaution de pren- dre un peu d'ail auparavant. Un cheval porte leurs provi- ens avec quelques bâtons qu'ils dreflent dans Poccafîon en forme de pavillon. Ils les couvrent enfuite de paille , d'her- be , ou de gazon. Dans le befoin ils dorment fort bien la tête cachée fous la felle de leurs chevaux &: le refte du corps à Pair. Ils ont d'autres chevaux pour porter leur arc & leurs flèches j pour eux , ils montent d'abord les plus mauvais. Lorfqu'ils font fatigués ils mangent de l'ail Se de ces racines , dont je viens de parler , cela fuffit pour les délafTer &: les for- tifier. Au lieu de vin , ils boivent du fang &c quelquefois aufîi du lait de cavalle , c'en: leur grand régal -, ils trouvent qu'il appaifela faim , défaltére & rafraîchit. Ils n'ont pour dra- peaux* que des queues de cheval attachées au bout d'une lance j excepté cependant l'étendart du Prince que le Grand- Seigneur lui envoie , & qui eft de brocard. Au refte ils n'ont point de marches réglées ni d'ordre de bataille. Ils forment un gros au milieu duquel le Prince eft enfermé , & campent dans les-endroits où ils trouvent du fourrage.
Il n'y a point de fleuves , quelque larges & rapides qu'ils foient , qui foient capables de les arrêter , tant ils font bons nageurs , eux & leurs chevaux. Lorfqu'ils ont à palier quel- que rivière large Se profonde , ils mettent leur fèlle & leur
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ji HISTOIRE
- équipage fur un lie de jonc 5c de rofeaux , qu'ils attachent à
Henri la queue de leur cheval. Enfuite fe prenant d'une main à fea III. crins , de l'autre ils prennent une baguette qui leur fert conu i c -y 3 1 me de gouvernail pour le diriger vers le rivage où ils veulent: aborder , ou bien ils le laiiïènt aller au courant. Dans les en- droits où l'eau cil bafle ils remontent fur leurs chevaux , & s'arrêtent un moment pour leur lairTèr reprendre haleine. Pour le Prince , ils le mettent fur un fiége de jonc attaché à la queue de plu fleurs chevaux. Ont-ils quelque bras de mer à traverfer ? ils tuent leurs chevaux les plus mauvais , les écor- chent , retournent leur peau qu'ils enduiient de graiiïe , en- fuite la coulent avec les crins , & font en peu de tems une barque dont le corps n'en: formé que des côtes même des chevaux tués , capable de tenir huit perfonnes , qui mènent encore à côté chacun leur cheval par la bride. Pour parler leurs chariots ils en ôtent les roués , les mettent lur pluiieurs paquets de jonc , & les lient enfuite à la queue de leurs che- vaux , qu'ils font conduire par quelque habile nageur , tan- dis qu'ils font au/fi tranquilles fur cette machine flotante que dans le meilleur vaifleau. Que s'ils trouvent quelque mauvais pas , ils marquent cet endroit avec de l'herbe, afin d'avertir ceux qui les fuivent de l'éviter. Ils fe fervent aufïï de ces fi- gnaux fur terre pendant le jour. La nuit ils font comme fur la mer , ils règlent leur marche fur l'étoile polaire,
Les armes les plus en ufage parmi eux font l'arc &; le cime- terre. Ils portent encore à la guerre une malîè d'armes &; un boulet de fer pendu à une corde longue de plufieurs aulnes. Pour la lance , ils ne s'en fervent guéres , non plus que de nos arquebufes , qui , difent-ils , coûtent plus à entretenir qu'elles ne valent 3 auffi les réfervent-ils pour la chafïe. Lorfqu'ils font en pais ennemi , autant d'hommes qu'ils rencontrent ils les maffacrent , de peur qu'ils ne découvrent leur marche. Du refte ils ne maltraitent ni les femmes ni les enfans. Ils ne pen- fent point non plus à piller , ni à faire de priionniers , q.ue lor£ qu'ils font fur leur retour 3 mais li on ne fait des conventions avec eux, ils mettent tout à feu &; à fang.
Ces peuples ne rifquent pas témérairement une bataille $ &.ils confultent beaucoup pour cela les jours heureux & mal- heureux. Ils en viennent aufii fort rarement à une a&ion
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générale. Ce ne font pouf l'ordinaire que quelques détache- mens qui fe battent en voltigeant , & qu'ils Contiennent par Henri de nouvelles troupes lorfqu'ils les voient ferrés de près. Mais III. lorfqu'ils font obligés d'en venir aux mains , ils vont à la 1 57$, charge avec de grands cris , & donnent tous enfemble fur l'ennemi .
A la fia d'une expédition , avant que de fe féparer , les troupes s'arrêtent fur la frontière. Là on examine la perte que chacun a pu faire dans cette guerre , le Prince régie les dédommagemens , & ce qu'il ordonne eft pris fur la malle commune du butin que l'on a fait , le refte eft: partagé éga- lement entr'eux. Il y va de la vie à vouloir rien cacher de ce qui a été pris fur l'ennemi 3 auifi fe battent-ils plutôt pour vaincre que pour s'enrichir.
Au refte , autant que ces peuples font à charge à leurs voL fins &; redoutables à leurs ennemis , autant font-ils paifibles entr'eux. La vie qu'ils mènent dans leur païs eft en effet très- innocente. L'hy ver, pour fe mettre à couvert de la rigueur du froid 6c des injures de l'air , ils habitent dans des cabanes bâties de rofeaux f qu'ils enduifent &: couvrent de boue ou de limon , ou même des excrémens de leurs troupeaux &c des autres animaux. Ces cabanes font répandues ça ôc là dans ces vaftes plaines dont j'ai parlé. Dès le commence- ment d'Avril ils fe remettent en marche avec leurs femmes , leurs enfans , & toute leur famille , menant avec eux leurs ef. claves &: leurs troupeaux , & campent pendant tout l'Eté dans des pavillons ronds , portés fur deux roues qui peuvent à peine contenir cinq perfonnes , en forte qu'on diroit qu'ils demeurent dans des chariots , ce qui leur avoit fait donner parles anciens le nom d'Hamaxobiens.
C'eft de cette nation que fortit Tamerlan , ce fameux vainqueur de l'Orient ^ qui mérita le titre de fléau de Dieu , qu'Attila roi des Huns s'attira par fes ravages. C'étoit un homme fort laid , boiteux , &c qui n'avoit pas d'ailleurs la tête bien faine. Dans le tems qu'il faifoit (qs études dans la Caramanie , qui eft l'ancienne Cilicie , (qs camarades inven- tèrent un jeu où. l'on avoit befoin d'un Roi , ôc le fort tomba fur Tamerlan. Chacun fe moquoit de cette royauté préten- due qui n'étoic qu'un jeu d'enfant. Mais ce badinage devine
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bien férieux dans la fuite. Tamerlan devenu plus grand , prît Henri un véritable empire fur les compagnons. L'amour de l'indé- III. pendance lui amena enfuite de nouveaux fujets. Plufîeurs z s 7 g, roême des foldats de Bajazeth défèrtoient pour venir s'enrô,. 1er fous les étendarts de ce roi de théâtre. Bientôt il fe vit à la tête d'une armée nombreufe. Alors il attaqua lui-même Ba- jazeth qui avoit eu l'imprudence de négliger ces premiers commencemens , lui livra bataille , le vainquit , le fit pri- fonnier , & le réduifît pendant le refte de ks jours au plus honteux eiclavage. Or parce que cette nouvelle monarchie qui fournit l'A fie , femblable en cela à celle que les Chérifs qui régnent aujourd'hui en Mauritanie , établirent depuis en Afrique , comme je l'ai rapporté ailleurs , avoit pris naiflance dans une école j on ajouta au nom Turc de Thamer , que portoit fon fondateur , le mot de Lan , qui dans cette langue îïgnirîe un lieu d'étude , & il s'appella Thamerlan , c'eft-â- dire , Le Roi de l'école. D'autres prétendent qu'il s'appelloit Timur, de qu'on ajouta à ce nom le furnom de Bec parce qu'il étoit boiteux.
Pour ce qui efr. des Tartares , ils commencèrent à fe rendre fameux vers l'an 1 i 1 S. que deux grandes armées de ces ban. bares lé rendirent en même tems dans l'Europe & dans l'Afîe. Ceux qui fe jettérent en Afie ravagèrent d'abord la Géorgie & la haute Arménie , èc paiférent jufqu'à Cogni , autrefois Jconium , qui étoit alors le fiége de l'empire Ottoman. L'au- tre armée commandée par Bathus , alla défoler les provinces de Sufdal êc de Smolenzko , qui appartiennent à la Mofcovie, ruina de fond en comble Kiovie capitale de la Ruffie , entra enfuite en Pologne & en Hongrie , s'empara de Sandomir & de Cracovie , que Boleflas furnommé le chafie , avoit aban- données , prit Breflau , &; tailla en pièces à Lignitz , l'armée de Henri le Pieux duc de Siléiîe <k fils de fainte Hedwige qui perdit la vie dans cette action. De là traverfans la Mo- ravie , ils fe jettérent dans la Hongrie avec toutes leurs for- ces , défirent Tan 1 141 . Bêla IV. réitèrent deux ans dans ce Royaume , &; reprirent enfin le chemin de leur païs par la Valachie , &c la Podolie. Ce fut dans ce tems-là que le pape Innocent IV. qui étoit alors au Concile de Lyon , envoya des AmbafTadeurs au prince Bathus , pour l'engager à fe faire
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Chrétien. Mais cette députation eut peu d'effet • Bathus ac- corda aux Chrétiens une trêve de deux ans. Du refte il em- Henri brafla le Mahometifme à la follicitation des princes Sarafins, 1 1 1. 6c il en fit profeffion toute fa vie. # *£?.&
Ces peuples delà Scythien'étoient d'abord divifés qu'en fept Hordes ou Tribus. Leurs noms étoient Tatar , Tangur , Cimat , Tâtair , Sonich , Mo'agli , & Tebet. Ils habitoient un coin de l'Afie que les rois de Géorgie leur avoient donné en- tre les monts Riphées & la mer Cafpienne , & qui étoit bien étroit pour contenir une fî grande multitude 3 lorfqu'un vieil- lard de la Tribu de Tatar, nommé Changy , qui s'étoit ac- quis parmi eux une grande réputation de prudence 6c de iainteté , follkita fa nation à fe tirer de l'efclavage , 6c s'offrit: à lui fervir de guide dans cette entreprife. Ils fortirent de leur retraite , ik. ayant étendu leur domination bien avant dans l'Afie par une longue fuite de victoires , ils prirent tous le nom de la Tribu de ce conquérant , & s'appellérent Tar- tares. D'autres auteurs , du nombre defquels eu: Leunclavius qui a fait une recherche fort exacte de l'origine de ces peu» pies , prétendent que leur nom vient du rleuve Tatar , fur les bords duquel habitent les Tartares Sumogli. Quelques-uns enfin croient que le nom des Tartares eft. Syriaque , & qu'il lignifie les r eft es -, voulant inférer de là que cette nation def- cend des anciens Hébreux. Ils appuyentleur fentiment fur ce que la Circoncifion étoit en ufage parmi eux , longtems avant l'origine du Mahometifme , de veulent que , par consé- quent , ils n'ayent pu la recevoir que des Juifs. Je reviens pré- fentement à ma narration.
Les petits Tartares étant partis de la Crimée , au nombre Entrée <ks de vingt mille hommes , parlèrent la mer de Zabacche , tra- Iarrrtares en verférent la Mîngrelie , 6c côtoyans les montagnes du Cau- cafe , qui étoient alors toutes couvertes de glaces , arrivèrent enfin fur la frontière du Schirvan. Ils avoient à leur tête un jeune Commandant bien fait 6c d'une taille avantageufè 5 nommé Abdilchirai. Il députa de là fecretement par deux fois à Ofman , pour fçavoir fes intentions. Par malheur quel- ques-uns de fes gens tombèrent entre les mains d'Aref-Chan 5 ci-devant gouverneur de Scamachie -, ils furent mis auiîitot à la queftion , 6c ils déclarèrent l'arrivée des Tartares 5 6c le
Y6 HISTOIRE
»
i nombre de troupes qu'ils avoient amené. Ares-Chan brûloir.
Henri du déiîr de fe venger , & il ne pouvoit fouhaiter une plus belle
III. occafion de fervir l'on Prince &c d'acquérir de l'honneur. Mais
1578, il fe contenta de défaire quelques partis Turcs qu'Omian
avoit envoyés au fourrage , & fe retira vers le Canaçh , pour
fe mettre à couvert du premier feu des Tartares.
Cependant fa retraite ne fut pas encore allez prompte. Ab- dilchirai avoit eu une entrevue à Scamachie avec Olman , ÔC conformément à ce dont ils étoient convenus , il partit fuivi de fes troupes , avec cette rapidité qui efî: naturelle à cette na- tion , & parut fur les bords du Canacli au moment qu'Ares- Chan l'attendoit le moins. Les Perfans furent furpris dans leurs tentes , & les Tartares en firent un carnage affreux avant qu'ils pufïent feulement fe mettre en défcnfe. Ares- Chan lui-même fut pris 6c envoyé à Ofman , qui le fît pendre auffitôt à la porte du Divan de Scamachie dont il avoit été Gouverneur
De là les Tartares parlèrent le fleuve , 6c prévenant eux- mêmes le bruit de leur arrivée , ils allèrent tomber avec la même impétuofité fur Emanguli-Çhan , gouverneur de Gen- ge , qui etoit alors forti de cette yille avec fqn époufe , fa maifon 6c les principaux Seigneurs du lieu , pour prendre le plaifîr de la chafle du fanglier, firent la femme de ce Seigneur prifonniére avec fes domeftiques & la plus grande partie de fa fuite , mirent le refte en déroute , en même rems s'empa- rèrent de Genge qu'ils pillèrent , §c où ils exercèrent toute leur rage 6c leur brutalité , repayèrent enfuite le Canach avec la même diligence , pafTérent à la vue d'Eres , 6ç allèrent camper dans la plaine qui effc au défions de cette ville , envi- ronnée de montagnes de tous côtés. Là ils s'arrêtèrent pour donner quelque relâche à leurs chevaux , 6c fe refaire eux- mêmes après une courfe fî fatiguante , 6c fe livrèrent tran- quillement au repos , n'imaginant feulement pas qu'on pût venir les attaquer.
Cette entrée des Tartares en Perfe arriva à peu près dans le tems que Hodabendes,qui avoit été informé de te us les événe- fnens de la dernière campagne , voyant que les foins du dedans ne luipermettoient pas de Te mettre lui-même à la tête de fes croupes, venoit de nommer Emirhamze, l'aîné de fes fils, pour
aller
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVI1. 57
aller avec douze mille hommes le venger de la témérité des Turcs , reprendre les villes dont ils s'étoient rendus maîtres Henri fur la frontière, Se châtier celles qui s'étoient livrées elles- III. mêmes à l'ennemi. Ce Prince étoit forti de Cafbin accom- 1578. pagné de Mirize Salmas , lorfqu'il fut informé de l'arrivée des Tartares par Ares-Chan , quelque tems avant la prife de ce Seigneur. Cette nouvelle le fit balancer d'abord fur le parti qu'il devoit prendre. Mais enfin l'ardeur de la vengean- ce ôc l'amour de la gloire l'emportèrent dans le cœur de ce jeune prince ^ il le roidit contre tout ce qu'il y avoit à crain- dre , & crut qu'il lui fléroit bien d'ofer. Dans cette réfolu- tion il continua fa marche , & fe rendit devant Eres beaucoup plutôt que le Roi fon père ne l'auroit efpéré , & que les Turcs ne l'auroient cru. Il arriva fi à propos , qu'il furprit le bâcha Caïtas à qui Muftapha avoit donné le commande- ment de cette place , &; qui étoit forti de la fortereiTe pour aller mettre les environs à contribution. Après quelque ré- fiftance le prince de Perfe le tailla en pièces avec toutes Ces troupes , fe rendit maître de la fortereiTe , & prit fur les Turcs deux cens carabines, qu'il envoya à Cafbin pour être prefentées au Roi fon père.
Ce premier fuccès fut un appas que la fortune fembloit Défaite des offrir à ce jeune Prince pour l'excitera faire quelque entre- ^^^J" prife plus confidérable. Il laiïïa dans Eres la princelfe Béguin fa mère qui l'avoit fuivi , continua fa marche 6c arriva au fom- met de ces montagnes dont le camp des Tartares étoit envi- ronné. De là il jetta fes regards fur cette multitude répandue dans ies tentes , & douta encore 11 avec le peu de troupes qu'il avoit, il rifqueroit d'attaquer des ennemis fi nombreux , ou s'il ne devoit pas plutôt reculer. Enfin l'amour de la gloire fut le vainqueur. Emir-Hamze après avoir ranimé le coura- ge de Cqs troupes , qu'iltrouva difpofées à fervir fesdeflèins , piqua droit à l'ennemi , tailla en pièces après quelque re- fifbance la première & la féconde garde , & tomba avec fu- reur fur ces barbares enfevelis dans la fatigue & le fommeil , loin de leurs chevaux , qu'ils avoient lâchés pour paître dans la plaine , il les paffa tous au fil de Pépée , les mit en dérou- te , ou les prit prifonniers. De ce dernier nombre fut Abdil- chirai 3 que le Prince envoya à Cafbin fous bonne garde. Tome V III. H
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vuj^mmMvmm j>e là le prince de P erfe marcha droit fans s'arrêter à Henri Scamachie ,. qu'il fomma de lui ouvrir fes portes , promet- III. tant à Olman Bâcha s'il fe rendoit , de lui laifïèr vies de ba~ i n8( gues fâuves, & le menaça au contraire de tout le poids de fa vengeance , s'il s'obftinoit à le laiilèr forcer. Le Gouverneur Turc qui ignoroit la défaite des Tartares , accepta la propo- rtion , èc demanda feulement trois jours pour iè difpofer à. fon départ , dans l'efpérance qu'avant que ce terme fût ex- piré , les Tartares viendroient à fon fecours , &; obligeroient les Perfans de fe retirer. Le Prince de fon coté qui comptoit fur la parole du Bâcha , ne fit aucune autre hoftilité. Enfin Olman , qui y à quelque prix que ce fut , ne vouloit point tomber entre les mains des Perfans , voyant qu'au bout de deux jours il n'avoit aucune nouvelle des Tartares , fe douta de ce qui leur étoit arrivé , &; comme il ne comptoit par fur la fidélité des habitans de Scamachie , il s'enfuit pendant la nuit , &: fe retira au travers des montagnes voifines à Der- bent, emportant avec lui tout ce qu'il avoit de plus précieux. Le lendemain matin les portes de Scamachie furent ouvertes à £mir-Hamze ; & ce Prince qui dès ion départ de Cafbin étoit anime contre les habitans de cette ville, qui avoient eu la lâcheté de fe livrer eux-mêmes aux Turcs, outré de noiu veau de la perfidie avec laquelle ils lui avoient caché la re- traite d'Oïman , leur fit fentir le poids de fa vengeance. Il traita ces malheureux avec la dernière rigueur , Se rafa les anciennes &: les nouvelles murailles de la place , dont il fie une efpécede folitude.
On tint enfuite confeil de guerre, pour fçavoir fi on mar- cheroit de là droit à Derbent , ou fi on retournerait fur fes pas. Mais l'avis général fut, qu'on devoit licencier l'armée. L'hyver commencoit à devenir très - rude , les troupes étoient fatiguées , <k il étoit dangereux dans ces circonftan- ces d'aller avtaquer une place de cette coniéquence. Le prince de Perfe fe diipofa donc au retour. Il prit fa route par les viiles d'Eres Se de Sechi , dont il traita les habitans avec encore plus de iévérité que ceux de Scamachie, parce qu'ils s'étoient rendus aux Turcs j &: il arriva enfin triom- phant à Cafbin avec fa mère & fon armée.
Il y avoit déjà quelque tems, qu'Abdilchirai avoit été
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIL j9
amené dans cette capitale , où on lui avoit donné le palais __ ■
pour prifon. Déjà même fa valeur, fa bonne mine , & l'idée Henri qu'on avoit de là naiflance , lui avoient attiré les bonnes gra- III. ces de Hodabendes. En effet il fe difoit frère du Kan des l c-j$t petits Tartares. Ainfi il s'entretenoit familièrement avec le Prince , &c vivoit fort librement avec lui.
Cette familiarité augmenta encore depuis le retour du Prince, qui ramena fa mère à la Cour. Cette PrincefTe fut épriie , dit- on , de la bonne grâce du jeune Tartare. Elle ne pouvoit s'empêcher de parler ians celle de ion mérite au Roi fon époux j elle ménageoit avec lui des tête à tête , &c commençoit déjà à être fort libre avec lui. Cependant cette intrigue étoit devenue' publique dans la capitale où on en parloit aiLz mal , & l'inclination de la Princelfe pour cet Etranger commençoit à le rendre odieux aux Grands delà Cour. Dans ces circonftances Hodabendes qui étoit infor- mé de tout ce qui fe pallbit , & qui n'aimoit pas naturelle- ment à chagriner fon époufe, prit un parti qu'il jugea propre à rétablir Ion honneur, de qui lui fut infpiré par la Reine même, qui crut par là pouvoir plus facilement couviir fa pafTion. Ce fut de mettre en liberté le jeune Tartare , & de lui faire époufer une de fes filles. Par-là le roi de Perle ef- péroit contracta une alliance fort étroite avec les petite Tar- tares , enlever au Grand Seigneur le fecours qu'il tiroit de cette Nation guerrière , 6c s'en faire un rempart contre les entreprifes des Turcs.
Mais quelque pafîion que ce Prince eût pour ce mariage , il ne put jamais , queiqu'effort qu'il Cit , engager Ces Minif- tres à l'approuver, foit par l'intérêt qu'ils prenoLmt à l'hon- neur de la famille royale, foit par averfion pour les projets ambitieux de cet Etranger, ils s'oppofoient avec fermjté à cette alliance, & mettoient tout en ufage pour en détour- ner le Roi. Cependant comme les Grands le virent déter- miné à fuivre fa première réfolution , ils appréhendèrent , Ci ce mariage fe faifoit malgré eux, que cet Etranger qu'ils croyoient Ci puiflant , ne prît par-là à la Cour le crédit 6c l'autorité que cette alliance lui donn?roit ■ & qui ne pouvoit manquer de devenir funefte à l'Etat ôt à la famille royale, ils résolurent généralement de le perdre. Ils fe rendu ent au
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HISTOIRE
^^^..■uj.aug palais où ils trouvèrent' Abdilchirai qu'ils poignardèrent (1) Henri après s'être vengés fur lui du commerce infâme dont on le III. foupçonnoit , de la manière la plus cruelle &: la plus honteu- 1578. fe. On croit que la PrincefTe fut tuée aufli dans ce mouve- ment. Ce qu'il y a de certain , c'efl: qu'elle ne parut plus de- puis , foit que le Roi l'eût fait mourir après avoir eu des preuves certaines de fon crime 3 car il arrive ordinairement que les maris font les derniers à être instruits du défordre de leurs femmes , foit que les grands de leur propre autorité eulTent eux-mêmes trempé leurs mains dans fon fang, pour ne pas voir la Couronne palier dans une famille étrangère. Quoi qu'il en foit , ce coup eut de terribles fuites , 6c il caufa à la cour de Perfe des refTèntimens de des haines qui ne finirent que par la ruine totale de bien des familles. Cependant pour arrêter le cours de ces divifions , Hodabendes ne parloit que de l'invafîon des Turcs , afin que la crainte du danger dont tout le monde étoit également menacé , réunît les efprits 6i les engageât à rentrer dans leur devoir. De fon côté ce Prin- ce faiioit tous les préparatifs néceffaires pour cette guerre -, & il prenoit au dehors &: au dedans toutes les mefures que la prudence pouvoit fuggérer pour en faciliter le fuccès.
D'un autre coté , Ofinan qui en abandonnant Scamachie étoit allé chercher un afile à Derbent , travailloit à affermir en Perfe fon autorité. Dans cette vue il chercha à mettre dans fes intérêts Sahamal, un des princes de Géorgie, qu'il fçavoit avoir le plus de crédit fur tous les peuples des envi- rons 5 & pour cimenter cette union avec lui , il époufa fa fille. Dans la fuite il foupçonna ce Prince , qui n'avoit quitté la cour de Perfe qu'à regret, de chercher à regagner les bon- nes grâces de Hodabendes par quelque fervice important j ce qui lui auroit été aifé , en enlevant aux Turcs , foit par rufe ou autrement , la ville de Derbent qui de ce côté-là étoit la clef, non-feulement du Schirvan ,mais de tout l'Em- pire. Cependant Ofman , malgré fes foupeons , ne remar- quoit aucun changement dans fon beau-pére , qui lui don- noit au contraire chaque jour de nouvelles preuves d'un
(1) M. de Thou dit : Abcijfts pins genitalibus , & âeformi utique (peBaculo
ad os œppltcatis. Notre langue û'a point
de termes pour exprimer un pareil fup- plice.
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attachement fincére , & d'un parfait dévouement. Mais le Turc qui étoit naturellement défiant , de qui fe trouvoit fort H e n iu reffèrré depuis que le prince de Perle avoit reconquis fur III. lui toute la province à l'exception de Derbent, ne crut pas T ç-g- devoir donner dans ce piège. Il fçut diflimuler avec la même habileté, de par les complaifances de fès carefTes il engagea fon époufe à fonder les defTeins de fon père, de à l'en infor- mer. Par ce canal il fut inftruit de l'intelligence que Saha- mal entretenoit à la cour de Perfe. Mais il n'en témoigna aucun mécontentement à fon époufe. Il lui dit feulement qu'il efpéroit que fon beau-pére feroit un jour plus d'atten- tion à fes véritables intérêts , de qu'il changeroit de conduite. Cependant comme il n'avoit en tête que fa vengeance, il redoubla (es carefTes pour elle , de il l'engagea à prier fon père de vouloir bien être d'une fête que le Bâcha donnoit. Cette femme , qui ne pouvoit prévoir ce qui alloit arriver , fît tout ce qu'il voulut. Sahamal fe rendit à Derbent j mais à peine y fut-il entré , que les miniffcres d'Ofman le poignardèrent avec toute fa fuite, au moment qu'il defeendoit de cheval. Après cette exécution , le Bâcha fit entrer les troupes de fa garnifon dans les Etats de ce Prince, avec ordre d'y mettre tout à feu de à fang , de de tâcher de lui amener fon fils.
Ofman fe fervit du prétexte que j'ai dit , pour diminuer l'horreur de fon parricide , de fçut fî bien tromper fon époufe , qu'il l'engagea à devenir malgré elle complice de la mort de fon père. Mais Leunclavius rapporte ce fait autrement. Il dit , qu'après que le prince de Perfe fut forti du Schirvan f Ofman fçut par fon adrefïè s'infînuer dans les bonnes grâces de Schemahil 3 car c'eft le nom qu'il donne au beau-pére du Bâcha ^ que ce Seigneur étoit Tartare de nation, Souverain de Derbent , attaché au Grand Seigneur , de ennemi juré des Perfans 3 qu'Ofman époufa fà fille , de qu'il l'engagea en- fuite à empoifonner fon père , que le Turc eut deux vues en commettant ce parricide , que d'abord il vouloit fe mettre l'efprit en repos du côté de Schemahil qui , à ce qu'il eroyoit, pouvoit fonger dans la fuite à le faire aflaffiner , de qu'il efpéroit en fécond lieu que s'il fe rendoit maître de Der- bent ,& de tout le pais que fon beau-pére pofîedoit , le Grand Seigneur lui en fer oie un prefent. Il ajoute , que les efpérances
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— d'Ofman ne furent pas trompées 3 & qu'ayant informé la
Henri Porte par la voye de Caffa du fuccès de fon entreprilè , III. Amurach le déclara Seigneur abfolu de tout le païs qui avoit 1 578. appartenu à fon beau-pere , dont il rcfta maître paifible.
Mais cette relation contient plufieurs faufTetés 3 car pre- mièrement il efb confiant que Sahamal étoit Géorgien, &: non point Tartare 3 que lui ou les ancêtres avoient été Chrétiens , èc que c'étoit à la cour de Perle qu'ils avoient fuccé d'abord le poifon du Mahometifme 3 en forte qu'il n'en: pas vraisem- blable , que ce Prince fût fî fort ennemi des Perlans , à caufe de leur Religion. Outre cela il paroît que Leunclavius a ignoré abfolument l'alliance qui etoit entre Sahamal èc la famille des rois dont nous avons parlé plus haut , fur le té- moignage de Minadoi , en rapportant la raifon qui engagea ce Prince à quitter brufquement cette Cour. Quoi qu'il en foit, Amurath fut ravi d'apprendre la mort de Sahamal, parce qu'Ofman fçut lui faire entendre que ce coup lui alfu- roit Derbent, que fans cela il auroit été en danger de perdre. L'intérêt que ce Bâcha fembloit prendre dans ces provinces éloignées à la gloire de l'empire Ottoman , dont il procuroit l'avantage aux dépens du fang de fon propre beau-pére , le fit regarder du Sultan , comme un homme à qui on pouvoit don- ner fa confiance. Ainfi non- feulement il eut foin qu'on lui envoyât tout ce qui lui étoit néceffaire pour continuer cette guerre 3 il fit encore partir pour l'aller joindre quarante mille Tartares , commandés par les deux frères d'un Prince de cette Nation , que ce Turc traita dans la fuite comme il avoic fait fon beau-pére.
Sur ces entrefaites , Ulucciali amiral de la flote Ottoma- ne, qui avoit été chargé de faire pafîèr à Trebizonde parla mer Noire les provifions qu'on avoit deftinées pour l'armée, revint à Conftantinople 3 & pour fe faire aufîi valoir , il amufa Amurath d'une relation magnifique de fon voyage. Il rap- porta qu'il étoit entré dans la Mingrelie , où il avoit fait éle- ver une fortereflè à FafTo , place qui porte le nom du fleuve fur lequel elle eft bâtie , & qu'elle conferve encore aujour- d'hui 3 &: que par~là il avoit ouvert un paiTage en Géorgie.
Tels furent les événemens de cette première campagne des Turcs contre les Perfans , où. ils perdirent plus de foixante
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Se dix mille hommes , par les maladies , par la dïfette , ou '
par le fer des ennemis. Cependant Amurath ne regardoit Henri toutes les expéditions de cette année, que comme une fîm- III. pie déclaration de guerre , parce qu'on n'en avoit tiré aucun 1*79, avantage , ôc que les Perfans avoient repris auffitôt , Scpref. que fans tirer l'épée , toutes ces places qui avoient coûté tant de fang à fes troupes. Ainfî comme il étoit déterminé à pourfuivre cette guerre, il ne penlàplus qu'à chercher les moyens les plus propres d'y réiiflir.
Quelques- uns de fes Miniftres lui confeilloient au lieu d'attaquer les Perfans du côté du Schirvan, qui étoit couvert par la Géorgie , &; ou par conféquent il n'étoit pas aifé de pénétrer, &: de pouffer bien loin fes conquêtes 3 défaire en- trer une armée en Médie par les provinces foûmifes à la do- mination de l'Empire 3 de s'emparer enfuite d'abord de Tau- ris , dont il ne feroit pas difficile de fe rendre maître avec des troupes nombreufes , &: de fortifier cette place 3 aflurant que par-là on couperoit la communication aux Perfans avec tou- tes ces petites places , qui font entre Tauris 6c Erzerum ,^8c que comme elles n'étoient d'ailleurs d'aucune défenfe , on les obligeroit à fe rendre de gré , ou de force.
D'autres étoient d'un fentiment tout différent. Ils pré- tendoient qu'il y alloit de l'honneur de l'Empire à ne pas abandonner des places qu'on avoit une fois foûmifes 3 que cette réfolution , quelque fage qu'elle pût être , pafleroitpour un aveu qu'ils feroient eux-mêmes de leur foiblefle 3 que d'ail- leurs , il n'étoit pas fur d'abandonner une armée au milieu de ces vaffces païs , habités par une nation guerrière , &: qu'on ne pourroit y faire pafïer des troupes , fans les expofer à de- venir la victime de la fureur des peuples de Géorgie, &; du reffentiment des Perfans , qui les tiendroient envelopés comme dans une filet , fans qu'elles euflènt aucune retraite.
On prit donc le parti qui paroifToit le plus fûr& le plus propre à conferver la réputation des armes Ottomanes. Muftapha reçut ordre de lever vingt-mille pionniers & ma- nœuvres, dans les territoires de Damas, d'Alep , de Cara- hemid , & dans toute la Syrie & la Mefopotamie. Le Grand Seigneur écrivit en même tems à tous les Gouverneurs de province , qui s'étoient trouvés l'année dernière à l'armée ,
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■■ ■" '.■.. de fe rendre au commencement du Printems prochain â Er- Hinui zerum avec toutes leurs troupes , &: d'exécuter ce que Mufta- III. pha leur ordonneroit. 11 manda la même chofe au bâcha 1579. d'Egypte , dont on ne s'étoit point fervi l'année précédente. Enfin comme dans cette première expédition l'armée avoit beaucoup louffert faute d'argent 6c de vivres , le Sultan eut foin qu'on fît beaucoup plus de proviflons , 6c fournit abon- damment tout l'argent qui pouvoit être néceffaire.
Amurath penfa enfuite à régler le fort des deux princes Géorgiens que Muftapha lui avoit envoyés. On avoit propo- fé d'abord à Maucchiar , qui étoit le cadet , de lui donner tous les Etats de la Reine fa mère , dont fon frère étoit l'hé- ritier légitime, à condition qu'il le feroit Mahométan,6c il avoit auifitôt accepté le parti. On fit enfuite entendre à Ale- xandre qu'il n'avoit que ce feul moyen de conferver le trône , dont fa mère l'avoit déjà mis en poffeffion. Mais ce Prince rejetta cette propofition avec la même fermeté que Simon , dont j'ai parlé, l'avoit fait d'abord, & quelque peine qu'il eût à fe voir dépouiller du bien de fes pères , il céda au plus fort , s'accommoda au tems , 6c demanda feulement en grâce que , puifque la volonté du Sultan étoit de lui préfé- rer fon frère , il lui fût permis d'aller pafTèr le reffce de {es jours dans fa patrie, & de mêler fes cendres avec celles de les ancêtres. Le Grand Seigneur lui accorda ce qu'il fouhai- toit , malgré les oppofitions de Maucchiar , qui ne vouloit pas avoir fi près de lui un homme qui pouvoit fe venger un jour de l'injumce qu'il lui faifoit. On procéda enfuite à la cérémonie de la circoncifion de ce Prince , qui facrifia ainfi malheureufement fon falut éternel à fon ambition ; & cette fête fut célébrée par des réjouiffances publiques qu'on fit dans toute la ville 6c dans le Sérail. Il prit alors le nom de Muftapha ^ après quoi Amurath le congédia avec le titre de viceroi d'Altuncala èc des autres païs , qui étoient fous la domination de la Reine fa mère 3 6c remit entre fes mains fon frère Alexandre.
D'un autre côté, on fe préparoit à Cafbin, non-feulement à s'oppofer aux nouveaux progrès que lesTurcs fè promettoient de faire en Perfe,mais même à porter la guerre juf que dans leur païs, fi l'occalion s'en prefentoit. Emanguli-Chan, gouverneur
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àe Genge , paroiflbit un des plus animés contr'eux. De- puis la perce qu'il avoit faite à la dernière incurfion des Tar- Henri rares , il ne refpiroit que la vengeance. Ainfi il alla offrir Tes III. fer vices à Hodabendes , promettant fur fa tête de conferver 1579. le Schirvan contre tous les efforts d'Ofman Pacha, & d'ar- rêter le progrès des fortifications que les Turcs avoient com- mencé d'élever dans cette province. Il fut donc déclaré gouverneur général du Schirvan , avec ordre à Serap-Chan gouverneur de Niffivan , à Emir-Chan gouverneur de Tau- ris , & à Tocmafes gouverneur d'Erivan , de lui donner tous les fècours dont il auroit befoin. Cependant ce Général fol- licita auffi le fils de Sahamal , qui depuis que fon père avoit été afîàfliné , s'étoit mis en poiîèiTion de fcs Etats , de fe join- dre à lui. Mais ce Prince plus fenflble à fa propre conferva- tion , qu'au reffentiment qu'il devoir avoir de cet attentat, ferma l'oreille à toutes fes proportions , & comme il appré- hendoit l'événement , quelques inftances que pût faire au- près de lui ce Seigneur , qui avoit les mêmes intérêts que lui , il refufa de fe déclarer pour aucun des deux partis.
Cependant Hodabendes qui appréhendoit particulière- ment pour Tiflis , parce qu'il étoit perfuadé que Muftapha s'attacheroit d'abord à cette place , penfoit aux moyens de la fecourir furement. Simon le tira de cet embarras. Ce Prince qui avoit beaucoup d'amis à la Cour , &: qui étoit in- formé par ce canal de tous les defTeins du Roi , vint lui offrir fes fervices dans ces circonflances. Son intention étoit de s'infînuer par-là dans les bonnes grâces du Monarque, de rentrer dans les Etats que Lavaflàp fon père avoit polTedés, & que fon frère venoit d'abandonner aux Turcs , &: de s'en conferver la pofTeffion fous la prote&ion du Roi de Perfe.
Simon , comme je l'ai dit plus haut , avoit d'abord refufé conftamment d'accepter le parti queThamas lui propofoit d'embrafTer le Mahométifme, à l'exemple de fon frère Da- vid ; 6c il avoit mieux aimé fe réfoudre à vivre en (impie particulier, &: même à palier le refte de Ces jours dans les fers, que de s expofer à des remords continuels, & de fa- cririer fon falut éternel pour conferver fa liberté &: fa cou- ronne. Mais ayant été renfermé dans le même lieu où If- maêl avoit été reLégué par fon père , la reflemblance de leurs Tome VI IL I
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' malheurs forma entr'eux une union très-étroite. L'ennui de la Henri prifon , ou Penvie de plaire à un Prince qu'il aimoit tendre- III. ment , 2c dont il étoit fur d'être aimé de même , acheva le j ._- refbe. Il fit pour fon ami ce qu'il n'avoit pas voulu tenter pour fe conferver un Royaume ,il renonça au Chriftianifme. Par malheur pour lui, le régne d'Ifmaél fut fi court, qu'il ne lui permit pas de jouir des avantages aufquels il avoit droit de prétendre -, 2c ce Prince ayant été affafiiné prefqu'en mon- tant fur le trône, n'eut pas le tems de marquer à ce tendre ami combien il étoit fenfible à fon changement.
Depuis ce tems-là Simon , quoiqu'il eût été mis en liber» té , étoit toujours à la Cour , cherchant quelqu'occafion de s'infinuer dans les bonnes grâces de Hodabendes fuccefTeur d'Ifmaél. Elle fe prefenta, & il en profita habilement. Ho- dabendes accepta les offres de fervice qu'il lui fit , le rétablit fur ce même trône où il avoit fait d'abord profeïïion du Chriftianifme $ le chargea depaffer en Géorgie avec Alyculi- Chan pour s'oppofer aux progrès des Turcs , & lui donna pour cette expédition cinq mille chevaux tirés des garni- ions voifines, avec quelques canons, quiavoient été trouvés dans la forterefle d'Eres lorfqu'elle fut prife fur les Turcs. Il rentra dans fon pais à la tête de ces forces , & fut reçu avec joye de tous fes fujets. Néanmoins parmi ceux qui étoient Chrétiens, il y en avoit plufieurs qui malgré leur affection pour lui , déteftoient la foiblefle qu'il avoit eue. Ce Prince de fon côté apportoit mille prétextes frivoles pour fe jufti- fier 5 &. il vouloit qu'on crût que malgré fon changement , il favorifoit encore fous-main la religion Chrétienne, les Turcs Cependant dès que le Printems fut arrivé , on vit les trou- icntrem en es T/urques fe rendre de toutes parts à Erzerum. L'artille- rie , les munitions de guerre , l'argent, les vivres 2c les four- rages étoient en abondance dans le camp. Les troupes qui venoient d'Egypte arrivèrent les dernières , à caufe des in- commodités qu'elles avoient eues à fouffrir au pafiage des déferts qui font entre ce Royaume 2c la Syrie. Outre cela la pefte s'étoit mife parmi elles , 2c elles l'avoient portée à Alep en parlant par cette ville. Ainfi elles étoient diminuées de plus de la moitié lorfqu'elles joignirent l'armée. Enfin le Gé- néral fit publier le jour du départ -y toute l'armée fe mit en
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marche , 6c prenant fa route par la forterefTe d'Haffan , elle ^sssëssë arriva à Chars en douze jours. Henri
Muftapha avoit été d'avis de fortifier cette place , 6c ayant III. reçu fur cela les ordres du Grand Seigneur , il y fit aufîltôt 1570, travailler fans relâche. Mais comme il voulut y employer aufïï les troupes , & entr'autres les Jannifïàires , on fut fur le point de voir une fédition dans le camp. Ceux-ci reprefentérent , qu'ils n'étoient au fervice du Grand Seigneur que pour tirer l'épée & défendre l'Empire les armes à la main 3 que c'étoit pour cela qu'ils recevoient la paye de fa HautefTe , &; non pas pour être employés à des miniftéres vils , tel que celui de re- muer la terre. Mais quoi qu'ils pufïènt dire , Muftapha qui étoit naturellement impérieux ,ne relâcha rien de fes ordres, 3c il les réduifît à travailler comme les autres , fans leur faire aucune gratification , parce qu'il fçavoit que ces mutins ne demandoient que cela. Enfin les travaux furent pouffes avec tant d'ardeur , qu'en vingt jours les fortifications fe trouvè- rent portées à une hauteur raifonnable , 6c la place en état de défenfe , avec un fofle profond , dans lequel on avoit fait pafler un bras de l'Euphrate , des tours , des murs garnis d'ar- tillerie de diftance en diftance , 6c des bains dont les Turcs font un grand ufage pour la fanté , à la confervation de la- quelle la propreté contribue infiniment , 6c qui leur font mê- me nécefîaires pour certaines pratiques que leur Religion leur prefcrit. Cependant lorfque l'on étoit au plus fort de l'ouvrage, il arriva un accident fort extraordinaire pour le climat &: la faifon , &: qui auroit pu le retarder s'il n'eût pas été aufîi avancé. C'eft que le 2 5. d'Août il tomba tant de neige 6c la rigueur du froid fut fi grande , que les travailleurs pouvoient à peine remuer leurs outils , 6c n'avoient pas la force de porter ce qui étoit nécefîaire.
Enfin on mit la dernière main à cette entreprife , Se on penfa enfuite à fecourir Tiflis. C'étoit une affaire qui embar- rafîoit extrêmement Muftapha. S'il marchoit lui-même vers cette place avec toute l'armée , il craignoit de pafTer pour un impofteur dans l'efprit d'Amurath à qui il avoit perfuadé qu'il avoit fournis toute la Géorgie l'année précédente. Il pouvoit , il eft vrai , y envoyer un de fes Lieutenans à la tête d'un détachement 1 mais fi cet Officier ne réulîlilbit pas , il
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■ fçavoit que le Grand Seigneur ne s'en vengeroît que fur lui- H en ri même.
j j j Enfin pour foûtenir ce qu'il avoit ofé avancer de Tes grands
progrès dans la Géorgie , il jetta les yeux fur HafTan bâcha *'"• ^e Damas, fils de ce Mehemet qui avoic exercé à la Porte fâic ravitail- pendant tant d'années la charge de Grand Vifir , & qui dans kr Tifîis. cet emploi s'étoit acquis l'amitié de Tes Maîtres , 6c la réputa- tion d'un des plus habiles Miniftres. Comme il connoifToit l'habileté 5c la bravoure de cet Officier , il lui propofa cette expédition èc l'engagea à s'en charger à Tes propres périls. Halîàn partit du camp à la tête de vingt mille hommes de bonnes troupes , portant avec lui de la farine , du ris , 6c d'au- tres provisions en abondance avec douze mille fequins. Muf- tapha l'avoit aufïï fait accompagner par Refvan Pacha. Arri- vé aux défilés de Tomanis , il quitta la grande route , pour ne pas s'engager dans les bois 6c dans un chemin entrecoupé de précipices , dont la vue feule infpiroit de l'horreur , 6c il réfolut de traverfer la forêt.
Mais à peine y fut-il entré qu'il fe vit envelopé par Aly- culi-Chan àc par le prince Simon , qui outre les troupes que le roi de Perfe lui avoit données , avoit encore levé trois mil- le chevaux dans les environs. Comme les Perfans connoif. foient le terrain y les Turcs les avoient à tout moment fur les bras. Ils les prenoient tantôt en queue , tantôt en flanc , quelquefois ils les attaquoient de front, 6c les harceloient continuellement. Ils enlevèrent même l'étendart de Mufla- pha gouverneur de Cefarée en Cilicie , maintenant Caifar dans la Caramanie , avec tout fon bagage & fa maifon. Enfin après avoir palTé les défilés , Hafîan qui vouloit avoir fa re- vanche , fit alte , au lieu de marcher droit à Tirlis , comme fi la crainte des ennemis l'eût retenu. C'etoit un piège qu'il leur tendoit pour les attirer encore au combat. En même tems il mit quelques troupes delà Grèce , commandées par Refuan Pacha , en embufeade dans les gorges de ces monta- gnes. Il avoit refté deux jours dans ce pofte , 6c au troifiéme les Turcs fe difpofoicnt à fe remettre en marche pour fe ren- dre à Tirlis , lorfque les Perfans vinrent les prendre en flanc. Haflan les laifTa avancer jufqu'à ce qu'il les eût mis entre Re - fuan 6c lui. Alors il les chargea 6c il en fit un grand carnage,
nombre fut Alyculi-Chan, que fon courage emporta Henri : dans la mêlée, qu'il pénétra jufqu'à HaiTan. Il fut pris III.
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La plupart prirent la fuite, êc il y eut peu de prifonniers.
De ce
fi avant
avec tous (es gardes. ryn
Après cette vidoire, le Général Turc alla pafîer l'Araxe & entra dans Tiflis après onze jours de marche. Son arrivée rendit la vie aux foldats de la garnifon , qui depuis long-tems luttoient avec la faim , 6c dont la plupart étoient ou morts de mifére , ou malades & hors d'état de faire le fervice. Haflan leur fit part des rafraîchifïemens qu'il avoit apportés , les exhorta à prendre patience, tira de cette place Mahamet quin'étoitpas aimé des troupes , à qui il donna Achmetpour les commander , & alla enfuite reparler l'Araxe. Maislorf- qu'il fut arrivé aux défilés , il fe trouva fort embarrafTé-, parce que les ennemis y avoient tiré un retranchement qu'ils avoient garni de canon. Or il ne connoifïbit point d'autre route , de il fentoit bien qu'il feroit dangereux de vouloir forcer ces lignes.
Alyculi-Chan le fervit admirablement dans cette extré- mité. Il s'engagea à le tirer de ce mauvais pas , à condition qu'il lui donneroit la liberté. Le Bâcha accepta ce parti 3 &c le Perfan fit parler les Turcs par des routes inconnues , qui les conduisent en lieu de fureté. Mais Hafîàn le récompen- fa mai d'un fervice fi important • &; il fe défendit de lui tenir la parole qu'il lui avoit donnée fur ce mauvais prétexte , qu'il n'étoit pas en fon pouvoir de mettre en liberté un homme qui avoit été pris les armes à la main par les foldats du Grand Seigneur. En même tems il lui donna de nouveau fa parole d'employer fon crédit auprès de Muftapha &: d'Amurath lui- même pour le faire relâcher. Après avoir ainfi évité le piège que Simon lui tendoit , il continua fa marche. D'un autre côté , le prince Géorgien indigné de ce que les Turcs lui avoient échapé , de n'ignorant pas celui à qui ils en étoient redevables, brûloit du defir de fe venger. Il fe jetta fur leur arriére garde qu'il mit en défordre , de où il fît un grand carnage. Ses troupes enlevèrent même le tréfor de Maha- met qui fortoit du gouvenement de Tiflis , avec tout le baga- ge de HafTan. Cependant le Prince couroit de rang en rang
au travers des ennemis , cherchant Alyculi-Chan , qu'il avoit
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^^■f^^ deilein de tirer de leurs mains. Mais il étoit déjà bien éloi- Henri gné , 6c on l'avoit fait palier à l'avant, garde où il étoit bien III. efeorté.
iryo( Enfin Haflan arriva au camp de Chars huit jours après fon départ de Tiflis , 6c reçut les complimens de Muftapha fur l'heureux fuccès de fon expédition. Enfuite il prefenta Aly- culi-Chan à ce Général , 6c foit que ce fut de concert , foit qu'il eût véritablement deflein de dégager fa parole , il le pria inflamment de lui rendre la liberté. Mais il n'y eut pas moyen de rien obtenir de cet homme inexorable. Leprifon- nier fut conduit dans la fortereflè d'Erzerum , 6c de là à Con£ tantinople , où on le refïèrra fort étroitement. Retour de Cependant comme Phy ver avançoit , 6c que la terre étoit
Muftapha & j » • couverte je neÎ2;e de toutes parts , les troupes commen- ta diigrace. ,J o ..rr • r • * k n_
cerent a murmurer. Elles haiiloient louverainementMuita- plia , à caufe de fon avarice infatiable de de fa négligence ex- trême à faire venir des vivres, 6c à procurer au lbldat fes petites commodités. Ainfî ce Général appréhendant quel- que fédition , de Cachant qu'on avoit déjà parlé dans le camp de fe défaire de lui , il reprit la route d'Erzerum 6c licencia l'armée auffitôt qu'il y fut arrivé , fans attendre l'ordre du Grand Seigneur. Enfuite il écrivit au Sultan pour l'informer du fuccès de cette campagne , 6c il fit en même tems l'éloge de Haflan , qui avoit fecouru fi à propos la garnifon de Tiflis. Ce Bâcha fut récompenfé dans la fuite par les honneurs dont Amurath le combla , 6c lui envoya le Calaat.
Au refte comme Muftapha étoit bien inftruit qu'il n'étoit point aimé de fes troupes , de qu'il n'avoir pas moins d'enne- mis à la Porte , il fe juftifîa avec foin auprès d'Amurath , de ce qu'on avoit eu tant de peine à faire paffer du fecours à Tiflis. Il lui reprefenta que ce qu'il lui avoit mandé l'année dernière , que la Géorgie étoit tranquille 6c foûmife à l'o- béïflance de l'empire Ottoman , n'en étoit cependant pas moins vrai -y qu'en effet les obftacles qu'on avoit rencontrés Êi'étoient point venus des Géorgiens, mais de Simon-Chan 5c d'Alyculi-Chan , qui s'étoient jettes dans le pais à la tête des troupes du roi de Perfe.
Ces raifons avoient quelque fondement , mais elles n'en furent pas mieux reçues. Muftapha étoit éloigné , 6c il avoit
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à la Porte un rival puifTant qui travaillent fans relâche à le ' .■■
décrier. C'étoit Sinan Pacha , courtifan adroit , qui toutes Henri les fois qu'on recevoit quelque mauvaife nouvelle de l'armée , III. ne manquoit pas pour faire fa cour, de dire fièrement, que 1579, fi on vouloitlui confier le foin de cette guerre , il iroit jufque dans le palais de Caïbin prendre le roi de Perfe prifonnier, & qu'il l'ameneroit au Grand Seigneur.
Quoiqu'il n'y eût dans ces diïcours que beaucoup déjà- loufie &c de vanité , cependant Amurath qui aimoit àfefla- ter , les regardoit comme un préfage de ce qui devoit lui ar- river. Ainfi il lui ordonna de le diipofer à faire le voyage de Perfe où il vouloit l'envoyer en qualité de GénéralûTime. Il lui fit même efpérer fur les recommandations de la Sultane Reine , qui avoit un pouvoir infini fur l'efprit du Grand Sei- gneur, de le faire Grand Vifir, au cas qu'il accomplît ce qu'il avoit promis fi iouvent.
On penfà donc à rappeller Muftapha qui étoit refté à Er- zerum , malgré les ordres que le Grand Seigneur lui avoit envoyés, d'aller palier l'hyver à Toccat *. Il fut mandé * C'efH'an- par deux fois à la Porte. Mais comme il avoit pardevers lui ^'eane Am** des preuves non équivoques du mécontentement du Sultan &: de la haine des foldats, il chercha à £ao;nerdu tems \\ fentoit bien outre cela , qu'on pouvoit lui faire de la peine au fujet des charges militaires qu'il avoit vendues. Car c'en: un droit qu'ont chez les Turcs ceux qui font à la tête des ar- mées de pouvoir difpofer de tous les emplois , grands & petits , en faveur de qui bon leur femble.
Toutes ces raifons empêchant Muftapha de paroître à la Porte, où il craignoit qu'on ne lui fît un mauvais parti, le Capigilar Kihaïa ou Capitaine des gardes de la Porte > reçut ordre de prendre quinze de (es gens 6c de fe rendre au camp. A fon départ Amurath lui remit trois lettres , toutes trois d'un ftile différent , dont cet Officier devoit faire l'ufage que la prudence lui dicteroit eu égard aux circonftances. La première étoit écrite de manière qu'en la rendant à Mufta- pha, on devoit auflîtôt l'étrangler, La féconde contenoic une défenfe du Grand Seigneur de troubler en aucune façon ceux qu'il envoyoit , dans l'exécution des ordres qu'il leur avoit données, Et la troifiéme ne renfermoit rien de tout
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=5 cela. Le Capigilar Kiaïa chargé de ces expéditions arriva Henri au camp , qui étoit triple j en forte qu'il fut obligé de palier III. par le premier & par le fécond , avant que d'entrer dans le i <-]q. troifi éme. Cependant il refta quelque tems fans pouvoir par- ler au Général , qui trouvoit chaque jour de nouveaux pré- textes pour différer cette entrevue. Enfin comme il faifoit inftance pour l'obtenir , Muftapha qui vit bien qu'il n'y avoit plus moyen de s'en défendre , lui donna audience. Mais comme il fe douta du fujet de l'ambafïade , il eut la précau- tion de faire tirer autour de lui un grand cercle , avec défen- fe fur peine de la vie de le palier , &c reçut de loin l'envoyé du Sultan , ayant autour de lui à quelque diftance , tous fes gardes le cimeterre à la main. Le Capigilar Kiaïa vit bien par là, qu'il n'y avoit pas moyen de fe fervir des deux pre- miers ordres dont il étoit porteur. Ainfî il ne préfenta que le troi/iéme. C'étoit un commandement d'Amurath de lui li- vrer fon Chancelier & fon Tréforier , qui chez les Turcs ont chacun leur nom particulier ( i ). Muftapha fit d'abord quel- que difficulté, & voulut chercher encore des prétextes pour éluder cet ordre. Enfin fur les inftances réitérées de l'En- voyé, il confentit à lui remettre ces deux Officiers , mais à condition qu'on lui répondroit de leur vie. Le Capigilar Kiaïa l'accepta , tous deux furent livrés , conduits de là à Conftantinople, & enfermés enfuite dans le château des fept Tours , où elf le tréfor du Grand Seigneur, & où on ne dou- toit pas que ces malheureux ne fuflènt appliqués à la queftion la plus rude , pour tirer d'eux des lumières fur la conduite de leur maître,
(;) C'cft le Nifchanzim 8c le Defterdar.
Fin du Livre foixfflU & fefticwe.
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HISTOIRE
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JAC QJJE AUGUSTE
DE THOU.
LIVRE SOIXANTE-HVITIEME.
TAndis que la guerre faifoit ainfî de l'Orient le théâtre de Tes ravages , Henri s'occupoit en France de projets Henri tout difFérens.L'Ordre des Chevaliers de Saint Michel établi *■ * *• par les Rois fes prédécefleurs commençoit à être fort avili, i 579. L'honneur d'y être admis , qui fembloit devoir être réfervé Affaires de pour la Noblefîe , &les Officiers qui fe feroient diftingués au Fr^ce« ïèrvice , avoit étéproftitué à toutes fortes de gens fans mérite & fans nom. Dans ces circonftances ce Prince naturellement ennemi des coutumes anciennes, de qui ne trouvoit de l'at- trait que dans ce qui avoit quelque air de nouveauté, fôngea à fonder un autre Ordre militaire fous le nom du S. Efpritj Erabîiflcmene &il fit la première cérémonie de ce nouvel établilTement le j^™ fa™1* dernier jour deDécembre. s. Efpw.
Il étoit compofé de cent Chevaliers , y compris le Roi , Grand Maître de l'Ordre, quatre Cardinaux, quatre Prélats, le Grand Aumônier de France 7 le Chancelier, le Prévôt, Tome FUI, K
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ou Maître des cérémonies, le Grand Tréforier, îe Greffier ,. Henri le Hérault , 6c l'Huiiïier de l'Ordre. Les Chevaliers furent ap- III. pelles Commandeurs , parce que le delTein de S. M. avoit été 1 579' d'abord de dépouiller les plus riches Abbayes de ces grands revenus qu'elles poflèdent, pour les mettre en Commande 5 ain fi qu'il fe pratique en Efpagne. C'ctoitle fruit des con- feils du cardinal de Lorraine. Ce Prélat, qui tenoit de la libé- ralité de nos Rois les plus beaux bénéfices de France , avoic infpiré ce projeta Henri quatre ans auparavant , à fon avène- ment à la Couronne , dans l'efpérance , dit-on , de perpétuer par-là dans fa famille ces gros revenus Ecciéfiaftiques , fous le titre de Commanderies 3 cela lui fut reproché par le Clergé quelque tems avant qu'il mourût j fes amis même le lui écri- virent alors. Après la mort du Cardinal, le Roi lit agir fes AmbafTadeurs à la Cour de Rome, pour engager le Pape à ac- corder la permiffion de faire cette réunion. On lui réprefenta que cet ordre étoit fur-tout inftitué pour la propagation de la Religion Catholique , Apoftolique , 6c Romaine , 6c l'extir- pation de l'héréfîe, 6c que c'étoit un des principaux articles contenus au ferment que prêtoient les Chevaliers le jour de leur réception. Mais le Clergé s'oppofa aux prétentions de la Cour , 6c on ne put rien obtenir de S. S. Cependant le nom en demeura à ceux qui furent revêtus de ce nouveau titre de di£- îin&ion 5 6c dans les ftatuts de l'Ordre , qui furent publiés au mois de Décembre fuivant , ils prirent le nom de Chevaliers Commandeurs de l'Ordre du S. Efprit. La poftérité verra par-là quelles avoient d'abord été les vues de la Cour , en faifant ce nouvel établiiTement j 6c ce fera pour nos defeen- dans un avertiiîèment de prendre garde que ce que le Prince tenta alors inutilement, ne réuffille un jour fous fes fuc- ceiîèurs.
Tout le monde attendoit cependant avec impatience queî feroit le fruit des Etats tenus à Blois deux ans auparavant , lorfque la Cour envoya au Parlement un Edit daté de Paris du mois de Mai , contenant trois cens foixante 6c trois ar- ticles, par lequel S. M. faifoit fçavoir fes intentions au fujec des demandes faites par lesEtats généraux duRoyaume.Auffi- tôt toutes les Chambres s'afïemblérent pour l'examiner, 6£ continuèrent foir & matin pendant long-tems , jufqu'à ce
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qu'enfin il fut enregistré Je 1 5. de Janvier de l'année fui vante. ■■■ Cet Edit renfermoit plusieurs réglemens très-fages , aufquels Henri on fe conforma pour Ja plupart dans les différens tribunaux III. du Royaume. Le malheur des tems empêcha que les autres 1570. n'euffent leur effet.
La Cour remédia en même tems à un abus qui s'étoit in, troduit à Paris dans lapafïàtlon des Contrats , où il fuffiibit de la Signature de deux Notaires pour en conffcater la vali- dité. On fit attention que dans une ville auffî peuplée que cette capitale , où on fe rendoit de toutes les provinces du Royaume , il étoit aifé à des gens de mauvaife foi de faire de faillies fuppofîtions. Ainfi comme on avoit déjà des exem- ples de pareilles friponneries , pour prévenir les fauflètés qui pourroient fe faire à ce fujet , Barnabe BrifTon Avocat général prefenta fon réquificoire à la Cour, par lequel il demanda qu'il fût ordonné , que dans la fuite la Signature des parties contractantes feroit néceSTaire pour la validité des contradsj èc que fî après avoir été interpellées , elles déclaroient ne fça- voir ligner , les Notaires feraient obligés d'en faire mention dans l'Acte. Sur quoi intervint le 29. de Janvier un Arrêt de la Cour conforme à (es conclusions.
Cependant la Reine mère , qui s'étoit rendue auprès du Conférence roi de Navarre , pour recevoir les plaintes des Réformés de c NcMC* ces provinces éloignées , &; pacifier s'il étoit poffible , les trou- bles de la Guienne , négocioit avec les députés des Eglifes Proteftantes. Ladifputefut vive de part & d'autre , &: dura long-tems. Enfin le dernier de Février on convint à Nerac de vingt - fept articles , tendans tous, ou à interpréter , ou à expliquer plus amplement les termes du dernier Edit , donné deux ans auparavant. Ils furent foufcrits au nom du Roi par la Reine mère, Armand Gontault de Biron , Guillaume de Joyeufe , Louis de Saint-Gelais Sieur de Lanfac , Bertrand de Salîgnac de la Motte Fenelon , & Gui du Faur fleur de Pi- brac. S. M. ratifia enfuite cet accommodement à Paris le 19- de MarSj( 1 ) mais on ne jugea pas à propos de le rendre public dans les circonfl:ances,6c il ne le devint qu'au bout de deux ans, après la conférence de Fleix, comme je le dirai dans la fuite.
(1) Il y a dans M. de Tîiou XIX K*L Apnl. C'eft une faute fenfîble ,
nous avons lu XIV. Kal. ApriL
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*579'
, Sur ces entrefaites la Reine pafTa à Agen , où fe renouvelïa
Henri plus vivement que jamais une ancienne querelle qu'il y avoit III. entre Henri de la Tour Vicomte de Turenne , qui étoit pro- che parent de la Reine , 6c Lieutenant général du roi de Na- varre ,6c les Duras. L'arraire devint férieufe, & penfa coûter la vie au Vicomte. Il y avoit trois ans qu'on avoit ôté le gou- vernement de Caftel-jaloux , petite place de la principauté d'Albret , àSavillan, pour le donner à Durfort de Rofans. Ce nouveau gouverneur crut avoir raifon d'appréhender que Savillan ne penfat à rentrer en pofTefTion de la place ; 6c pour prévenir toute furprife , il ordonna en partant y à Garennes Sergent Major denelaifTer entrer dans la ville aucune per- fonne de marque. Cependant le Vicomte de Turenne le pré- senta devant la place 5 6c en vertu du pouvoir qu'il tenoit du roi de Navarre, il fit demander par de Reniez qu'on lui en ouvrît les portes j mais Garennes s'en exeufa fur l'ordre qu'il avoit reçu. Le Vicomte fut piqué de ce refus 3 6c ayant ren- contré depuis de Rofans proche d'Agen, il le fomma de lui en faire raifon. Cette affaire traîna pourtant jufqu a cette an- née , que Duras étant venu faluer la Reine mère à Agen , où. de Rofans fon frère le fuivit auffitôt après , il fit appeller en duel le vicomte de Turenne : ce fut le 17. de Mars dès le grand matin. Ce Seigneur fortit de la ville, 6c fe rendit au gravier fur le bord de la Garonne , menant avec lui Salignac. Les Duras arrivèrent un moment après, 6c on fe battit 5, le Vicomte contre de Rofans , 6>c Duras contre Salignac. Mais l'événement fut fi malheureux pour le Vicomte, qu'il refta comme mort fur la place , percé de plufîeurs coups qu'il avoit reçus dans le dos, 6c dans les côtés. Turenne fît grand bruit de ce combat , 6c prétendit qu'il y avoit eu de la furprife 3 que de Rofans portoit une cotte de maille fous fon habit, quoi- qu'il eût aflùré le contraire , 6c que des gens apoftés l'avoient pris en traîtres. C'efl ce qu'il publia dans un écrit qui parut à cette occafîon. Sur-quoi on voulut fçavoir le fentiment de Henri de Monmorency oncle de Turenne, (1) qui setoit rendu à Agde$ &; ce Seigneur, après avoir pris l'avis des
(1) François de la Tour, père du Vicomte dont il s'agit ici , avoit e'poufe' Eleonore £tlle ainée du Connétable de
Monmorency , fœur de Henry duc de Monmorency, qui par conféquent étoit oncle du vicomte de Turenne.
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Gentilshommes 6c Officiers qui étoient à fa fuite , décida le - 2 3 . de Mai , que puilque les Duras en av oient ufé fi indigne- Henri ment à l'égard du Vicomte , il lui étoit permis de chercher IIL à tirer vengeance de cet aflaffinat par toute autre voie que 1 579, celle du duel, qui eft en ufage entre Gentilshommes. La Reine mère fut outrée de cet attentat , & vouloit faire informer contre les deux frères , qui cependant s'étoient mis en fureté. Mais le vicomte de Turenne la pria de n'y pas fonger , &; ar- rêta toutes les pourfuites.
D'Agen la Reine mère parla à Touloufe , lieu de la ré fi- dence du Parlement de Languedoc , où Jean de Monluc évêque de Valence vint la faluer. Ce Prélat avoit eu ordre de la Cour l'année précédente de paffer dans cette province , pour y préparer les efprits à quelque accommodement j & il s'étoit rendu auprès de la Reine pour l'informer plus parti- culièrement par lui-même du fuccès de fa négociation. Ce fut-là qu'il tomba malade, accablé, ou de vieillerie , ou des Mort Je Jean travaux qu'il avoit effuyésdans tant d'affaires dont il avoit été évêauTck chargé j &il mourut peu de jours après. J'ai fî fouvent parlé Valence* avec éloge de ce grand homme , que je croirois me rendre ennuyeux fi je répétois ici ce que j'en ai déjà dit. Il fufïïra qu'on fçache qu'il étoit également eftimable par (es talens na- turels , &fon érudition ^ &: qu'il n'eut jamais rien plus à cœur que de voir la paix rétablie dans l'Eglife. Deftiné dès fa jeu- nefïèà l'état Eccléfiaftique, à peine il parut à la Cour, qu'on le regarda comme capable des plus grandes affaires. Ce fut par- là qu'il s'introduifit dans les bonnes grâces du cardinal de Lorraine , qui fe faifoit alors un plaifîr de protéger à la Cour les gens d'eiprit, &c qui le fit employer dans pluïieurs ambaf- fades , dont il s'acquitta avec beaucoup d'habileté & de bon- heur. Je ne parle point de celle d'Ecofle, ni de quelques au- tres. Il eft certain qu'il réuffit admirablement dans celles de Conftantinople & de Pologne ,où contre l'efpérance de tout le monde , malgré les brigues de tant de Princes prétendans à ce grand &; piaffant royaume , qui par la mort de Sigifmond Augufte , décédé fansenfans , dépendoit du choix de la na- tion , il fçut écarter tous ces concurrens , & réunir tous les fufFrages en faveur de Henri , alors duc d'Anjou. Mais ce Prince > qui auroit préféré les délices de la cour de France à
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— — toutes les couronnes du monde,reconnut fort mal un fî grand
Henri fervice. Il regarda cette éle&ion , qui le combloit de gloire ,
III. comme un exil honorable que Tes ennemis lui impofoient pour
1 579» l'éloigner ^ & depuis ce tems -là il ne put voir de bon œil celui
à qui il en étoit redevable. Monluc d'un autre côté, qui fe
voyoit déjà dans un âge avancé , oc pour qui fa difgrace fem-
bloit être un averuifement du Ciel , qui l'exhortoit à penfer à
la retraite , eut l'imprudence de ne pas profiter à tems de cette
occaflon -y &: il eut la douleur de fe voir dans un âge décrépie
mourir méprifé dans le commerce des Dames de la Cour ,
candis qu'il auroit pu fe flater de jotiir tranquillement le refle
de {es jours d'un repos honorable dans fondiocéfe.
La Reine mère, pendant le féjour qu'elle fit à Touloufè , travailla à arranger les affaires de la province. Sur-tout elle avertit le Parlement d'ufer à l'avenir de moins de rigueur , de de fe montrer plus favorable dans l'interprétation du dernier Editfait en faveur des Proteftans. De-là elle prit fa route par CarcafTonejôc après avoir appaifé les troubles qui renaiffoient chaque jour dans le bas Languedoc, elle fe rendit en Dau- phiné , où les efprits étoient beaucoup plus en mouvement. Henri de Monmorenci duc de Damville avoit accompagné jtfette PrincefTe à fon départ du Languedoc, dont il étoit Gou- verneur , jufqu'à Grenoble. Ce fut là qu'Emmanuel-Philibert duc de Savoie vint la faluer. Le fujet du voyage de ce Prince, qui favorifoit fous main les defTeins de Bellegarde , étoit d'ob- tenir une audience de la Reine pour la préparer à la jufHfïca- tion que ce Maréchal vouloit faire de ce qui venoit de fe pafler dans le Marquifat de Saluces. ■Suite des Bellegarde étoit piqué contre la Cour par les raifons que projets du ;>ai rapportées , en parlant des événemens de l'année précé-
Maréchai de ', fcr\i • * • • i j- j *
Bellegarde. dente. Il avoit eu encore , comme je vais le dire , de nouveaux fujets de mécontentement , &; il ne cherchoit qu'une occafîon de s'en venger. Dans cette vue il avoit ménagé avant la mort de de Gordes une conférence au Buys avec lui &; le fîeur de l'Efdiguieres. Cependant il ne s'y étoit point rendu, &; s'é- toit retiré à Villeneuve vis-à-vis d'Avignon. Là